La GPA et le statut d'Indien

Un couple gay, dont l'un des partenaires est membre d'une communauté autochtone, a recours à une mère porteuse pour une grossesse gémellaire planifiée.  Chaque homme a fourni son matériel génétique et deux embryons ont été fécondés in vitro avec les ovocytes d'une même pourvoyeuse. Les deux embryons ont ensuite été implantés dans l'utérus d'une mère porteuse.  L'homme membre des premières nations (Wayne Wallace) souhaite que Jaxon, l'enfant lié génétiquement à son conjoint et issu de la même grossesse, soit reconnu comme un membre de la communauté Malécite (Premières Nations). La mère porteuse, la pourvoyeuse d’ovocytes et le conjoint ne sont pas membres de cette communauté.

Détails du jugement:

Date :2021-08-03

Numéro de dossier :T2396/5519

Référence : Wallace (au nom de Jaxon Joselin Wallace) c. Première Nation malécite du Madawaska, 2021 TCDP 23 

Tribunal canadien des Droits de la Personne

Membre : Jennifer Khurana - Ottawa, Ontario

Détails de la requête

Le Tribunal canadien des droits de la personne a été saisi pour se prononcer sur le bien-fondé de scinder l’instance en deux parties: que le Tribunal décide d’abord de sa compétence pour instruire la plainte et qu’il planifie ensuite une audience sur le bien-fondé, si nécessaire.

En octobre 2021, le plaignant, M. Wallace au nom de l'enfant Jaxon Wallace, a décidé de retirer sa plainte et de s'engager dans un processus de médiation avec sa communauté.

EXTRAITS de la requête:

[1] Wayne Wallace est membre de la Première Nation malécite du Madawaska (la « PNMM »), l’intimée, alors que son conjoint ne l’est pas. Tous deux sont parents de jumeaux. Le couple a fait produire des embryons à partir d’ovules provenant de la même donneuse. Deux embryons, issus de l’un et l’autre conjoints, ont été transférés dans une mère porteuse qui a ensuite accouché des jumeaux en 2013.

 

Détails de la cause

[2] Monsieur Wallace a sollicité auprès de la PNMM le statut de membre pour ses deux fils. Selon le libellé du Code d’appartenance de la PNMM, les personnes qui veulent devenir membres doivent démontrer qu’elles sont les descendantes d’un membre actuel de la nation par les liens du sang. La Première Nation a accordé le statut de membre à l’un des fils, au motif que les résultats du test d’ADN le liaient à M. Wallace, mais elle l’a refusé à son frère jumeau Jaxon parce qu’il n’avait pas de lien génétique avec un membre.

[3] Monsieur Wallace a déposé la plainte au nom de Jaxon. Il prétend qu’en refusant à Jaxon le statut de membre, la PNMM a fait preuve de discrimination à son égard dans la fourniture de services en fonction de ses caractéristiques génétiques, de sa situation de famille, de son sexe ou de sa race. Si M. Wallace admet que l’un de ses fils ne lui est pas génétiquement apparenté, il plaide que l’exigence d’un test d’ADN n’est pas le seul moyen de prouver la descendance paternelle.

En 2014, les résultats d'un référendum portant sur le code d'appartenance à la PNMM ont ajouté l'exigence d'un test ADN afin d'établir la reconnaissance des descendants paternels comme membres de la communauté. L'enfant Jaxon, dont l'ADN correspond à celui du mari de Wallace et de la donneuse d'ovocyte, est conséquemment inadmissible aux exigences du code d'appartenance de la communauté.

La filiation génétique

Puisque le code d'appartenance de la PNMM se fonde sur les gènes, il paraît utile d'examiner les liens de filiation sous cet angle. Une filiation génétique est composée de deux liens: un lien maternel et un lien paternel. 

Commençons par examiner le lien maternel.  Avant l'accessibilité aux tests ADN, la paternité était présumée alors que la maternité était avérée : Mater semper certa est. Ces "jumeaux" partagent une configuration de lien génétique maternel impossible naturellement.  Ils partagent le matériel génétique de la pourvoyeuse d'ovocyte et une vie "biologie commune" avec la mère porteuse : leur "filiation maternelle" est issue de deux femmes différentes.  Autrement dit les "jumeaux" partagent un lien de filiation maternelle "fragmenté".  

 

ADN et traditions malécites

L'argument principal revendiqué par M. Wallace pour faire reconnaître Jaxon comme membre de la communauté est que la première phrase du code d'appartenance stipule que le code est établi en conformité avec les traditions malécites.  Dans un article publié par APTN National News, M. Wallace rappelle ces traditions : 

"Il était bien connu dans l'histoire que si un enfant non désiré était mis au monde ou amené dans une communauté malécite, cet enfant était amené et élevé comme s'il était le leur".

M. Wallace s'est entretenu avec l'aînée malécite Andrea Bear Nicholas, de la Première Nation de Tobique, qui a confirmé que l'utilisation de l'ADN pour déterminer l'appartenance à une communauté allait à l'encontre des valeurs historiques malécites. M. Wallace affirme qu'il a le sentiment que la communauté a perdu ses repères concernant ses coutumes et ses traditions et n'écarte pas la possibilité d'avoir recours à la cour fédérale s'il n'obtient pas ce qu'il souhaite.

Si les tests d'ADN vont à l'encontre des valeurs historiques malécites, on peut raisonnablement penser que les techniques de Fecondation in Vitro auquelles le couple a eu recours pour obtenir une descendance sont aussi en décalage avec ces valeurs historiques. 

Ajoutons que si M. Wallace semble faire si peu de cas de l'importance de son lien génétique avec Jaxon aujourd'hui, il en allait tout autrement au moment de la conception des jumeaux.  En fait l'importance du lien génétique était telle que le couple a volontairement fait porter à une femme une grossesse gémellaire, augmentant les risques pour elle et les risques d'une naissance prématurée. Rappelons que les embryons implantés devaient être conçus avec le matériel génétique de chacun des deux hommes.  Puisque la génétique a si peu d'importance pourquoi est-ce que les deux embryons n'ont pas été conçus avec son sperme?  La réponse est que le choix de la méthode de conception indique l'importance que le couple accorde au lien génétique.  On peut se demander si cette importance a été considérée pour les enfants concernant leurs liens maternels?