L'ordonnance de cour

 

Le juge Gregson reconnaît Mme Blake et M. Auclair comme étant les parents légaux d'Isabelle. Il accorde néanmoins l'autorité parentale et la garde d’Isabelle au couple J/C.  Il accorde également des droits de visite aux parents et des périodes de garde :

Voici des extraits de l'ordonnance (notre traduction)

1. Les requérants [le couple Johnson/Clark]  sont les seuls à pouvoir prendre des décisions concernant Isabelle Joan Auclair, née le 6 janvier 2021.
 
2. Les requérants doivent consulter les intimés [couple Blake/Auclair, les parents biologiques]  et les informer de toutes les décisions importantes touchant la santé, l'éducation et le bien-être général d'Isabelle afin d'obtenir l'avis des intimés sur la décision importante.  Par la suite, les requérants auront le dernier mot concernant la décision majeure.
 
3. Les responsabilités décisionnelles quotidiennes seront assumées par la partie qui s'occupe d'Isabelle à ce moment-là.
 
4. Isabelle résidera et aura sa résidence principale chez les requérants.
 
Les intimés (B/C) auront le droit de s'occuper d'Isabelle comme suit :
 
a.  Les week-ends en alternance du samedi à 16 h au dimanche à 16 h, à compter du samedi 4 juin 2022 ;
 
b.  Par la suite, l'exercice de l'autorité parentale le week-end sera étendu du samedi à 10h00 au dimanche à 16h00 à compter du 30 juillet 2022 ;
 
c.  Par la suite, l'exercice de l'autorité parentale pendant les week-ends sera étendu du vendredi à 17 heures au dimanche à 17 heures à compter du 17 septembre 2022 ;
 
d.  Chaque mercredi, de 16 heures à 20 heures.

 Paragraphe [299] 

 

 

Cette ordonnance de cour a été émise par le juge N. Gregson, un an après l'ordonnance temporaire du juge Ramsay. Dans son analyse, le juge admet que la mère, Mme Blake ait pu avoir eu des sentiments d’ambivalence avant l’annonce que les démarches de légalisation de leur projet parental allaient probablement échouer: (notre traduction)

"Lorsque les parties ont été informées du rejet de la demande en avril 2021 [demande de parentalité et de non parentalité], la mère, en particulier, a reconsidéré sa décision.  Elle l'avait peut-être fait bien plus tôt, mais cet événement a cristallisé le fait qu'elle conservait ses droits parentaux légaux et qu'elle pouvait désormais demander le retour de sa fille.

Paragraphe  [257]

Il pose aussi les questions suivantes (notre traduction):

"Isabelle semble avoir un attachement sécurisant avec les requérants.  Il est possible que si elle était placée chez les intimés, elle puisse encore former d'autres attachements sécurisants, ce qui n'aurait pas d'effet négatif sur son développement. Cependant, pourquoi ferais-je cela ? Pourquoi risquerais-je le développement de cette enfant alors qu'elle se sent aimée, en sécurité, nourrie et qu'elle a un lien parental avec les requérants?  Pourquoi changerais-je maintenant le statu quo alors que les requérants ont un passé et des antécédents prouvés en ce qui concerne le développement de cette enfant, qu'ils ont répondu à tous ses besoins et qu'ils continueront vraisemblablement à le faire?  Le fait que les défendeurs soient les parents biologiques de l'enfant et qu'ils souhaitent son retour n'est tout simplement pas suffisant. Je dois examiner l'ensemble des preuves et des circonstances et me laisser guider par les facteurs législatifs pour déterminer ce qui est dans l'intérêt supérieur de cette enfant."

Paragraphe [266]

 

Le placement crée l'attachement

...et l'attachement crée le placement

Le juge soulève la question du lien d'attachement pour justifier sa décision, sans égard au fait que le lien d'attachement a été créé artificiellement et consolidé par la décision du juge Ramsay (2021) de confier la garde temporaire au couple J/C en attendant l'ordonnance de cour qui sera rendue l'année suivante par le juge Gregson.

Cyniquement, pour le couple B/A, la décision du juge Ramsay avait "scellé" l'avenir de l'enfant.  Le seul fait que le couple J/C ait accueilli et pris soin de cet enfant comme l’auraient fait la plupart des familles d’accueil, les a qualifiés aux yeux du juge pour obtenir l'autorité parentale.  Si des parents biologiques démontrent des capacités et des compétences parentales adéquates, leur enfant ne sera pas confié en adoption à la famille d'accueil qui en a pris soin en attendant que le couple ait pu redresser leur situation sociale.  Or, comme on l'a vu, on ne leur a jamais donné cette opportunité.

Les notes du juge Gregson ne reflètent pas une préoccupation du bris du lien d'attachement aux premières heures de la naissance d'Isabelle, séparée brutalement du lien maternel à 1 jour dans le stationnement d’un établissement de restauration rapide pour être confiée à deux étrangers dont elle n’avait jamais entendu les voix au cours de sa vie intra-utérine.

« Pourquoi ferais-je ça? demande le juge (parlant de remettre l'enfant à ses parents).  On peut se demander quelle serait sa réponse si l'enfant était en famille d'accueil et que ses parents biologiques le réclamait, des parents biologiques dont le dossier serait exempt de négligence parentale et d'abus physique ou verbal.

Certaines phrases de ses notes interrogent sur son analyse complète des compétences parentales du couple J/C (notre traduction)

"Rien n'indique que les requérants n'ont pas pris de bonnes décisions pour Isabelle" 

Paragraphe [269] 

Un jugement de Salomon?


 

Le manque de jugement des requérants les a conduits à adhérer à un projet de parentalité illégal et bancal, apparenté à du trafic d'enfant. Ce comportement irresponsable n'a pas été considéré dans l'évaluation de leur compétence parentale par le juge Gregson. Ne pas avoir considéré que l’intérêt d’Isabelle se conjuguait mal avec l'abandon planifié de ses parents ne semble pas avoir été évalué non plus dans la décision du juge.

Le fait que ce couple ait accueilli et pris soin de cet enfant, comme l’aurait fait toute famille d’accueil, les a qualifié pour obtenir la principale autorité parentale.

Le juge termine en félicitant le couple J/C de leur collaboration, notamment pour avoir communiqué aux parents les informations de santé concernant leur enfant et un suivi de ses progrès.

Rappelons que ce couple ne détenait aucun droit parental sur cette petite fille en vertu de la loi canadienne. Le moins qu’ils aient pu faire, au vu de la situation, était certainement de démontrer une collaboration en attente d’un jugement.

En terminant, il est important de noter "la créativité" du juge qui a choisi d'accorder à Isabelle une configuration socialement nouvelle de 4 figures parentales, une disposition que la loi ontarienne permet maintenant pour s'ajuster à la "diversité" des configurations familiales et aux possibilités offertes par les technologies de procréation assistée qui sont maintenant capables fractionner la maternité en séparant la maternité génétique (utilisation d'un ovocyte étranger au corps de la mère) et la maternité biologique (le processus biologique de la grossesse). L'Ontario a introduit ces possibilités dans sa "Children’s Law Reform Act".  Plusieurs craignent une ouverture à la légalisation des structures familiales patriarcales comme la polygamie.