Un peu de psychologie

 


 

Le tribunal note que le couple J/C s’est montré ouvert à ce que les intimés aient des contacts avec Isabelle malgré le litige tant que le temps parental demeure adapté à son âge. Ils ne cherchent plus à obtenir une déclaration de non-parenté à l'égard des intimés et sont conscients qu'Isabelle saura toujours qu’ils sont ses parents biologiques.

 

Il est intéressant de noter dans l’interrogatoire de M. Auclair la déclaration suivante concernant son historique personnel  (notre traduction):

 

"Lorsqu'on a demandé à M. Auclair s'il s'inquiétait du préjudice psychologique que pourrait subir Isabelle en la retirant aux requérants, il a émis l'opinion qu'il estimait qu'aucun lien d'attachement n'a été créé entre eux au cours des trois premiers mois de la vie d'Isabelle, se référant aux lignes directrices de l'Association of Family and Conciliation Courts (" AFCC ").  Il a indiqué que lui-même ne se souvenait de rien à l'âge de trois mois et que la séparation de ses parents à l'âge de six mois n'avait pas eu d'incidence sur sa vie."

Paragraphe [200]  

 

M. Auclair n’ayant démontré que peu d’intérêt relativement à la naissance de son fils, on peut s’interroger sur un possible lien inconscient entre la séparation de ses parents à une période très précoce de sa vie et ses propres lacunes de relations filiales.

 

Quoi qu'il en soit, certaines déclarations du couple J/C qui souhaite vouloir "agrandir leur famille" en ayant recours à la maternité de substitution sont également préoccupantes.

 

On peut s'étonner du peu de considération des sentiments de Mme Blake, mère d’Isabelle, amie précieuse et relation de longue date du couple.  La dissociation émotive exigée des femmes qui s’engagent volontairement dans ces types d’arrangements est complexe.  Elle peut s'apparenter à l'expérience de femmes porteuses d'une grossesse non désirée qui ont l'intention de donner l'enfant en adoption parce qu'elles ne souhaitent pas avoir recours à un avortement.  Comme pour Mme Blake, ces femmes sont déchirées entre le sentiment de culpabilité d'abandonner leur enfant et le désir de lui procurer une famille aimante et compétente.

 

Les causes de l'expérience tragique qu’ils subissent, incluant celle de la petite Isabelle, sont éclipsées par leur détermination à réaliser leur projet familial.  Les sentiments déchirants de la mère (et du père) face à l’abandon de leur fille, la complexité de leurs sentiments, le préjudice d'Isabelle concernant le "marchandage" dont elle fait l'objet, le désir de Mme Blake de faire plaisir à ses amis, l'immaturité du couple Blake/Auclair sont autant de considérations ignorées dans leur décision de poursuivre les intimés.  Ce qui tend à démontrer que les relations d'amitié ou d'affection comptent peu quand les intérêts des parties en cause divergent.

 

L'évènement déclencheur

L'état mental de Mme Blake vaut la peine d'être examiné. Le divorce l'atteint suffisamment psychologiquement pour qu'elle recherche un apaisement mental par le biais d'une thérapie.  Elle expérience manifestement une période de crise importante dans sa vie.

Elle entame une nouvelle relation amoureuse très rapidement alors qu'elle habite encore avec son mari qui lui a indiqué son intention de se séparer et qu'aucun arrangement n'a encore été pris pour stabiliser sa situation. C'est dans ce tumulte émotif, qu'elle propose de devenir mère porteuse pour son couple d'amis. On peut véritablement questionner ce comportement et se demander si Mme Blake ne cherchait pas par cet acte, une valorisation personnelle possiblement pour compenser une blessure narcissique. 

Plus tard, alors qu'elle ne souhaite pas avoir d'enfant pour elle-même, elle admet ne pas prendre de moyens de contraception.  Elle craint d'être enceinte une première fois, (elle ne l'était pas), et ne prend toujours pas de moyens après cet incident pour prévenir une grossesse.  Elle sera enceinte quelques semaines plus tard.

Elle n'enregistrera la naissance de l'enfant qu'en avril (l'enfant est né en janvier).  Tous ces événements se produisent à l'intérieur d'une période de 8 mois et indiquent à quel point elle nourrissait des sentiments ambigus et contradictoires face à la maternité.

Chaos mental

Selon les notes de cour, M. Johnson bénéficie d’une stabilité d’emploi et d’un plan de carrière moins chaotique que les autres.  La solidité de sa relation avec sa mère joue peut-être un rôle d’ancrage.  M. Johnson paraît être mieux habilité que les autres pour identifier et évaluer son meilleur intérêt, pour planifier, chercher et trouver les informations et des conseils pertinents.  C’est lui qui pense à engager une avocate spécialisée dans les causes de « fertilité » pour conseiller le quatuor, bien que très tardivement (à quelques semaines de l’accouchement…).

 

Ces avantages font probablement en sorte qu’il réfléchit mieux que les 3 autres, s'exprime mieux dans les interrogatoires et donne des réponses plus cohérentes.  Mais est-ce à dire que ces qualités feraient de M. Johnson un meilleur parent? La pauvreté de son jugement dans cette entreprise (et celle de son conjoint) est tout au moins comparable à celle du couple Blake/Auclair. Contrairement à Mme Blake, qui vivait une détresse psychologique suite à un divorce, l'état mental de M. Johnson n'était pas affecté par d'autres préoccupations que celle de combler son souhait de fonder une famille.

 

Les comportements de M. Johnson et Clark démontrent qu’ils ont priorisé leurs intérêts personnels sur ceux de l’enfant à naître (cet inextricable chaos en fait foi). Ils ne sont pas interrogés à savoir comme cette petite fille se sentirait quand elle apprendrait qu’elle avait été « donnée » par ses parents biologiques.

 

 

"Remettre un enfant comme un ballon"

 


 

Les témoignages inconsistants ou chaotiques de Mme Blake peuvent s’expliquer par les sentiments contradictoires qui semblent l’habiter et par son impuissance à les confronter et les comprendre. Elle tombe enceinte par accident mais ne prenait aucun moyen de contraception. Elle désire rendre service et plaire mais semble ignorer ses propres besoins. 

 

M. Auclair paraît partagé entre la loyauté envers les décisions de sa compagne, ses propres désirs et la difficulté à assumer ses responsabilités.  Il a déjà un abandon d’enfant dans son historique personnelle, on peut penser que la récurrence de cette situation le perturbe.

 

Le juge note qu'aucune des quatre parties en cause ne réalisent les portées légales des mots qu’ils emploient pour faire référence à la situation tels que « grossesse pour autrui », « adoption privée » ou « obtention d’une garde légale ».  Ils ne semblent pas saisir non plus les implications légales des termes « dons de sperme » et « dons d’ovocytes » ou même l'importance de la méthode de conception.

 

Dans ses notes d’analyse le juge rappelle que le tribunal et l'ordre public ne devraient pas tolérer que des parties aient un enfant et le remettent simplement comme un « ballon de football » à une tierce partie et que là n’est pas l'intention de la législation canadienne.  Il est révélateur de noter que les protagonistes interprètent la loi canadienne sur la procréation assistée comme un droit à pouvoir disposer d’un enfant.  Ils n'ont pas tort. Cette loi permet qu’un enfant puisse faire l’objet d’un contrat avant sa conception et être donné, au regard de certains arrangements.  On peut en effet se demander comment des arrangements prévoyant le don d'un enfant pas encore conçu est plus éthique que des arrangements prévoyant sa marchandisation.

 

Le juge rappelle que la situation en litige ne rencontre pas les critères d’adoption ou de grossesse pour autrui.  Il interprète la situation comme celle où des parents biologiques confient leur enfant à d'autres personnes pour exiger son retour après une période de quatre mois.  Même si le juge prend la peine de préciser que la situation ne rencontre pas les dispositions légales d'adoption ou de grossesse pour autrui  il n’en demeure pas moins que son jugement - que nous livrons plus loin - s'appuie sur ces dispositions.  On peut se demander si un juge exerçant dans État de droit qui interdit les GPA parviendrait aux mêmes conclusions dans une situation identique.  Quoi qu'il en soit, le fait qu'un enfant fasse l'objet d'un contrat oblige les juges à prévilégier ce qu'ils estiment être l'intérêt supérieur de l'enfant  dans une logique de contrat de service et de consommation.

 

Nous verrons plus loin que le juge a accordé l'autorité parentale aux plaignants (le couple J/C).

 

 

 

 

En fait, le juge appuie sa décision sur les « intentions » des protagonistes et le meilleur intérêt de l’enfant.  Ce dernier élément est essentiellement évalué par le juge à partir du fait que le couple J/C a développé des liens d’affection et prodigué adéquatement des soins à Isabelle pendant les quatre premiers mois de sa vie. S'il fallait faire un parallèle avec les politiques québécoises de protection de l'enfance, il pourrait être utile de rappeler que le Tribunal du droit de la jeunesse procède avec une grande prudence avant de déléguer une autorité parentale permanente à des personnes en dehors du cercle familial de l’enfant et à retirer cette autorité aux parents sans leur avoir apporté au préalable de l'aide et sans avoir développé des plans et des stratégies pour les aider à développer leurs compétences parentales.

 

 

Des opportunités sont offertes aux parents, des délais sont accordés et renouvelés pour les aider à modifier leurs comportements et mieux organiser leur vie.  Certains d'entre eux parviendront à développer les compétences et les habilités qui leur permettront d'être réunis avec leurs enfants.

On peut se demander pourquoi ce cas n’a pas été dirigé vers la direction de la protection de la jeunesse (son équivalent Ontarien) puisque cette institution détient l’expertise et le mandat pour traiter ce genre de situation. Nous y voyons là un manquement de l'hôpital et de la travailleuse sociale qui avait été mise au courant de la situation.  Pourquoi ne pas avoir fait un signalement à la DPJ à partir du moment où ils ont appris que l’enfant avait été « donné » au couple J/C? Il nous apparaît que  l'institution a failli à protéger cet enfant en fermant les yeux sur ce qu'ils savaient être une pratique illégale parce que les expressions "grossesse pour autrui" et/ou "adoption" avaient été utilisées, sans aucun support légal.  Mme Blake et son conjoint auraient été considérés inaptes à prendre soin de leur enfant et un processus d'aide à l'enfant et au couple aurait été mis en place.  Ces opportunités sont données à des mères toxicomanes afin de leur permettre de se reprendre en main, on peut se demander pourquoi Mme Blake n'y a pas eu droit?