La requête


 

 

À la fin janvier, l’avocate [F... ] déposait une requête pour obtenir une reconnaissance de parentalité pour M. Johnson et Clark ainsi qu'une déclaration de non-parentalité (renoncement de leurs droits parentaux) de la part Mme Blake et M. Auclair.

 

La requête faisait foi que ni Mme Blake, ni M. Auclair n’avaient d’enfants (Note [1]) et ne souhaitaient devenir parents.  Il était également mentionné que Mme Blake et M. Auclair avaient agi dans le cadre d'un arrangement de gestation altruiste traditionnelle respectant la Loi canadienne sur la procréation assistée et que cet arrangement impliquait un don d'ovules et de sperme en support à une maternité de substitution.  La requête déclarait toutefois que l’enfant issu de cette entente avait été conçu par relations sexuelles (contrairement au conseil initial de l’avocate).  Les notes du tribunal n’expliquent pas ce changement de stratégie. Les documents signés par tous confirmaient qu’il avait été convenu par les parties concernées que tout enfant né de cette entente serait celui de M. Johnson et de M. Clark et les identifiait « parents d’intention ».

 

Le 2 février, les documents étaient signés par les 4 protagonistes.  Mme Blake a témoigné ensuite qu’elle avait signé les documents sans les lire et qu’elle était sous l’impression que ces documents serviraient à autoriser le couple Johnson/Clark à pouvoir décider et dispenser à Isabelle les soins de santé qu’elle pourrait avoir éventuellement besoin.

 

Selon Mme Blake, l'avocate [F...] n'a pas expliqué la teneur et le sens des documents (ce qui est contesté par cette dernière et le couple Johnson/Clark).  Elle témoigne qu’elle n'a pas posé de question en raison de son état émotionnel de l’époque et qu'elle ne savait pas qu'elle avait le choix de ne pas signer l'affidavit, qui contenait certaines inexactitudes, comme la fausse déclaration de M. Auclair qu'il n'avait pas d'autres enfants, ce qui lui sera plus tard reproché. De son côté, M. Auclair a déclaré qu’il croyait que l’Affidavit qu’il avait signé avait pour objectif d’obtenir une carte d’assurance-maladie pour Isabelle.


 

Requête rejetée

Après la naissance d’Isabelle, M. Johnson a obtenu un congé parental de deux mois, et M. Clark a pu travailler à temps partiel pour une période de six semaines.

 

Le couple Johnson/Clark a maintenu un contact avec le couple Blake/Auclair pendant les premiers mois et a envoyé des photos d’Isabelle et de l’information sur ses progrès et sa santé.  M. Clark se demandait si ce n’était pas trop difficile pour Mme Blake de recevoir ces photos et Mme Blake a répondu que c’était difficile, mais qu’elle souhaitait quand même en recevoir.  Elle leur a proposé du temps de gardiennage malgré le fait qu’elle se trouvait à trois heures de route. Ils ont répondu que ça n’était pas nécessaire.

 

M. Auclair n’a jamais signifié au couple Johnson/Clark le souhait de voir sa fille.

 

Une visite d’une durée de quatre heures a eu lieu le 17 mars 2021.  Mme Blake était accompagnée de sa mère et de son beau-père, qui rendaient visite à un neveu qui venait aussi d’avoir un enfant et habitait la région.  Mme Blake percevait son rôle vis à vis de sa fille comme une sorte de « tante ».

 

En avril, l’avocate a transmis aux parties que leur requête avait été refusée par le ministère parce qu’il n’y avait pas de contrats avant la conception et que l’enfant avait conçu par relation sexuelle.

 

Dans son refus de la reconnaissance de parentalité des deux hommes, le ministère ajoutait ceci (notre traduction):

 

"Il semble que les parties cherchent à obtenir une déclaration en vertu de l'article 13 de la Loi modifiant la Loi portant réforme du droit de l'enfance de l'Ontario parce que leur situation n'est pas visée par les dispositions de la Loi Canadienne sur la Reproduction Assistée (LCRA) relatives à la maternité de substitution. 

 

Toutefois, l'article 13 n'a pas pour objet de déroger aux dispositions de la LCRA relatives à la maternité de substitution, pas plus qu'il n'a pour objet de déroger à la législation ontarienne sur l'adoption."

Paragraphe [160]

 

Qu’à cela ne tienne

 

Non obstant ce refus, l’avocate [F...] a expliqué aux protagonistes que même s’il était souhaitable d’obtenir le consentement (ou la non-objection) du registraire général adjoint pour ce type de demandes, elle considérait que le consentement ministériel n’était pas « absolument nécessaire ». 

 

Selon son expérience - et bien que les juges qui traitent ces demandes souhaitent un consentement du gouvernement - cela ne signifie pas nécessairement que les demandes de déclaration de parentalité et de non-parentalité par la Cour supérieure de justice ne pourraient être traitées ou accordées quand même.

 

 

Baby Blues

Mme Blake se souvient d’avoir eu une discussion le 2 avril 2022 avec l’avocate [F...] à propos de ce refus du registraire.  Elle affirme que l'avocate avait suggéré qu’elle devrait peut-être envisager les possibilités d'adoption et qu'elle ferait mieux de préparer sa maison à recevoir Isabelle puisque la petite fille reviendrait possiblement sous sa responsabilité temporairement.

 

Il semble que cette conversation ait été un point tournant pour la suite des événements (Note [2])

 

Mme Blake a témoigné qu'elle avait été ravie d'apprendre qu'elle et M. Auclair étaient toujours les parents légaux d'Isabelle, et qu'elle ne sentait pas prête à envisager céder sa fille en adoption.  Elle a déclaré qu'elle ne pouvait pas supporter l'idée qu'Isabelle lui soit confiée pendant six mois en attendant que le processus d'adoption se déroule et qu'elle doive à nouveau se séparer de sa fille. Mme Blake a affirmé qu'après avoir discuté avec l'avocate [F...], elle et M. Auclair ont acquis les fournitures nécessaires et organisé une chambre pour Isabelle, supposant qu'elle reviendrait sous leur responsabilité.

 

L’avocate [F...] se souvient d’avoir dit à Mme Blake qu’il serait plus difficile (mais pas impossible) de faire reconnaître la parentalité telle que les partis le souhaitaient et qu’ils devaient tous se réunir pour discuter de prochaines étapes.  Elle n’a pas de souvenir que Mme Blake ait émis des réticences sur un processus d’adoption ou qu’elle ait changé d’avis, mais reconnaît qu’elle a senti une tension de la part de Mme Blake.

 

Mme Blake a avisé la semaine suivante qu’elle souhaitait qu’Isabelle retourne auprès d’elle et M. Auclair dès la fin mai et qu’elle ne désirait plus que le couple Johnson/Clark en assume la garde ou initie des démarches d’adoption pour leur fille.  Curieusement, l’avocate n’a jamais informé le couple Johnson/Clark qu’ils devaient retourner Isabelle à ses parents :

 

“Ms. [F...] testified she never told the Applicants to return Isabelle back to the care of the Respondents.”

 

Paragraphe [167]

 

Note [2] Il est possible que Mme Blake ait vu dans cette conversation une opportunité pour elle de résoudre le dilemme dans lequel elle s’était engouffrée ; récupérer sa fille sans susciter la haine de ses amis devenait possible puisque l'échec du projet ne pouvait plus lui être incombé.

 

Tout se complique


 

À cette étape, l’avocate a réalisé que les intérêts des protagonistes divergeaient et que c’était devenu impossible pour elle de continuer à tous les représenter.  Mme Blake avait averti le couple Johnson/Clark qu’elle et M. Auclair souhaitaient récupérer leur fille et avaient proposé des dates à cette fin.  Le couple Johnson/Clark a demandé un délai qui fût accepté.

 

Mme Blake a finalement réalisé qu’elle devait recourir à un avocat.  De leur côté, M. Johnson et Clark ont décidé qu’ils refusaient de rendre l’enfant à ses parents après une période de réflexion et avoir reçu des avis.  Les notes du juge indiquent qu’il considérait que le couple Blake/Auclair n’avait pas les compétences pour prendre soin de "leur fille", notamment parce que le couple ne connaissait pas la routine et les soins à apporter à Isabelle, invoquant comme argument que Mme Blake n’avait jamais eu d’enfants.  Ce commentaire paraît particulièrement inapproprié (voire arrogant) sachant qu’eux-mêmes n’avaient jamais eu d’expérience de parentalité avant d’accueillir Isabelle et que tel était le cas pour toutes les mères accouchant de leur premier enfant.  Ils ont ajouté que M. Auclair n'assumait pas sa responsabilité parentale vis-à-vis son fils Aaron, ce qui était vrai à l'époque:

 

“The Applicants believed the Respondents were not equipped to care for Isabelle, as Ms. Blake had never been a parent and Mr. Auclair had no contact with his son from a prior relationship and yet they suddenly wished to parent Isabelle”

Paragraphe [172]

 

Mme Blake a contacté la travailleuse sociale [Mme B...] car elle souhaitait maintenant enregistrer la naissance d'Isabelle.  Elle a informé [Mme B...] que les choses avaient mal tourné et qu'elle avait retenu les services d'un avocat.  Elle menaçait de faire intervenir les forces policières pour récupérer sa fille.

 

"Tout le monde a fait tout de travers"


- Juge Ramsay

Le couple J/C a pris de court les parents d’Isabelle en initiant lui-même une requête en placement pour l’enfant.

 

Des rencontres préalables ont été tenues entre les avocats et les intervenants judiciaires, afin de prendre rapidement une décision sur les modalités de garde d’Isabelle.  En mai 2021, sous l’autorité du juge Ramsay, il a été décidé qu’en attendant le dénouement de la requête en parentalité, Isabelle demeurerait sous la garde du couple J/C. Les parents auraient des droits de visite à raison 3 jours/semaine, trois heures le mercredi soir, samedi après-midi et dimanche soir.

 

Pendant cette période, Mme Blake s’est confiée à sa thérapeute [Mme C...].  Voici l’extrait d’une rencontre amené en preuve (notre traduction):

 

« Le 12 mai 2021, Mme Blake a rencontré [Mme C...] et a déclaré que son avocat avait espéré qu'elle avait dit pendant leurs séances qu'elle voulait être mère.  [Mme C...] lui a expliqué que ce n'était pas la façon dont elle lui avait présenté les choses.  Ses déclarations portaient plutôt sur le fait qu'elle était convaincue d'avoir pris la bonne décision pour Isabelle, M. Auclair et pour elle-même.  Mme Blake a indiqué à [Mme C...] qu'elle se rendait maintenant compte qu'elle pouvait être facilement manipulée par les autres, qu'elle avait fait une erreur en abandonnant Isabelle et qu'elle avait changé d'avis.  Mme Blake a déclaré qu'elle se sentait mal qu'Isabelle soit coincée au milieu et qu'elle avait l'impression que les pères lui avaient menti.  Mme Blake a ensuite dit à [Mme C...] qu'elle ne comprenait pas grand-chose à la procédure judiciaire ni au processus d'adoption ou de maternité de substitution.  Lorsque [Mme C...] lui a demandé pourquoi elle ne posait pas de questions, Mme Blake a indiqué qu'elle n'avait pas fait beaucoup de recherches et qu'elle supposait que tout était simple si toutes les parties étaient d'accord.”

Paragraphe [178]

 

 

Le Meilleur intérêt de l'enfant

Ces dernières remarques paraissent symptomatiques des traits de personnalité de Mme Blake.

 

Le 29 mai, le juge Ramsay entendait les requêtes présentées par les requérants et intimés visant à obtenir une ordonnance parentale en leur faveur.  Il reconnaissait que le couple J/C n’avait jamais rempli une demande formelle d’adoption et constatait;

 

“Everyone did everything wrong”

(Tout le monde a fait tout de travers)

 

Ceci étant, il déclara qu’il ne fallait pas que l’enfant subisse les conséquences de cette série de décisions lamentable et qu'il ne fondait pas son jugement sur le droit, mais sur le meilleur intérêt de l’enfant. 

 

Le meilleur intérêt de l’enfant est souvent invoqué dans les causes de maternité de substitution.  Les juges considèrent cet intérêt dans une perspective individuelle et ne considèrent pas la perspective de l’intérêt collectif des enfants à ne pas faire l’objet de contrats, être donnés, échangés ou vendus, ce qui relèverait des juridictions de Cour de plus haute instance. Nous retrouvons ce raisonnement dans ce jugement (l'intérêt supérieur de l'enfant étant associé ici à l'attachement). En poussant cette logique, l'intérêt supérieur d'un enfant victime de trafic serait de demeurer auprès de parents compétents l'ayant obtenu par l'intermédiaire de trafiquants si ces parents présentent de bonnes aptitudes parentales, parce qu'un lien d'attachement s'est développé.  Pourtant, de nombreux enfants adoptés ont tenté de rechercher leurs parents biologiques même si leurs parents d'adoption avaient développé de solides liens d'attachement. Dans ce jugement de la Cour suprême du Canada (paragraphes 103 et 104) les juges citent la cause King c. Low, pour conclure ;

 

"que  l’attachement de l’enfant est une considération qui devrait l’emporter sur la « règle vaine » d’un lien biologique (par. 104). L’affirmation dans King c. Low selon laquelle les demandes des parents biologiques ne devraient pas être écartées « à la légère » doit être lue dans le contexte de l’adoption dans lequel elle a été prononcée et de concert avec l’accent que la Cour a ultimement mis sur l’attachement de l’enfant (par. 101). Il ressort de King c. Low qu’il ne faut pas écarter « à la légère » les demandes des parents biologiques seulement parce qu’un lien biologique est un indicateur présumé du parent envers lequel l’enfant a l’attachement affectif ou psychologique le plus étroit. Il arrivera fréquemment que l’enfant ait un fort attachement envers un parent biologique, car les parents biologiques font généralement partie des personnes qui participent le plus aux soins de l’enfant. Pourtant, cela ne confère pas un poids important à un lien biologique en lui‑même. C’est le rôle de fournisseur de soins du parent biologique, et non le lien biologique en soi, qui favorise l’attachement psychologique et affectif de l’enfant."

 

Dans les situations de GPA il faut noter que le meilleur intérêt de l’enfant n’a été jamais considéré dans les discussions précédant sa conception ou durant la grossesse et au lendemain de sa naissance quand il a été séparé de sa mère. 

 

Si le juge a raison de reprocher le manque de jugement affiché par le couple B/A, il ne relève pas cette absence de la part du couple J/C, qui en manque pourtant tout autant.

 

Dans son analyse, le juge note (notre traduction) :

 

"Il n'y a eu aucune preuve de coercition de la part des requérants envers les intimés pendant toute la durée de la grossesse ou après l'accouchement.  En fait, la mère était activement engagée dans la recherche d'une solution juridique à leur dilemme."

Paragraphe [253]

 

On ne peut s'empêcher de penser que ce commentaire traduit une remarquable insensibilité de l'état mental dissociatif et perturbé de cette mère amenée à donner l'enfant qu'elle porte.