Les "autres" visages de la GPA
(ceux qui ne vous ont pas été présentés)
Certains clients manipulent le langage pour laisser croire que les mots ont un pouvoir sur le réel. Ainsi, des couples d'hommes annoncent que leur couple est "enceint", plutôt que d'admettre qu'ils ont recours à une mère porteuse. Par courtoisie, par gentillesse, par bienveillance, leur entourage laisse ces tromperies grotesques d'exprimer devant eux.
Cet abus de langage a pour effet de banaliser la pratique de la GPA tout en éliminant toute possibilité de référence à l'existence même d'une mère pour cet enfant.
Mais qu'arrive-t-il quand l'un d'entre eux s'interroge s'il devrait "avorter" suite au décès de son partenaire?
José Rolón, un planificateur de mariages, s'est marié avec son compagnon Tim en 2010. Quelques temps après, Tim lui a communiqué son souhait d'avoir un enfant. D'un commun accord ils décidèrent de recourir à une mère porteuse. Voici comment José décrit le processus:
TRADUCTION
"Nous avons fait appel à une mère porteuse et nous avons trouvé une mère porteuse incroyable, Natasia. Nous avons créé un embryon avec mon sperme, un autre avec le sien, et il en est sorti un magnifique garçon ! Il était clair qu'Avery n'était pas biologiquement le mien, mais celui de Tim."
Il est stupéfiant de constater l'absence totale de reconnaissance d'une quelconque contribution maternelle dans la conception de cet enfant. Comme si les humains s'étaient mis à se reproduire tous seuls au 21ème siècle. Pas un instant il ne semble venir à l'esprit de José que cet enfant pourrait avoir les traits et caractéristiques physiques de la femme qui a fourni les ovocytes (qui pas ceux de la mère porteuse).
La profonde indifférence témoignée envers les femmes qui ont contribué à la conception de cet enfant s'exprime autant dans sa sélection de mots que dans l'omission des liens entre l'enfant et les maternités désassemblées des deux femmes à qui il doit la gestation, la naissance et la conception.
Peu de temps après la naissance du premier enfant "Avery", Tim confie à José son désir d'en avoir un autre. Cette fois, l'enfant sera conçu avec le matériel génétique de José. La narration de cet évènement par José est, encore une fois, éloquente:
TRADUCTION
"Il était clair que nous ne voulions pas deux enfants de plus. Nous nous étions contractuellement engagés à n'en avoir qu'un seul. Mais le jour de l'intervention médicale, notre super mère porteuse Natasia - et pour être clair, notre donneuse d'ovules était différente de la mère porteuse - avait littéralement les jambes en l'air lorsque le médecin est arrivé et a dit : "OK, je les ai". Je me suis dit : Qu'est-ce que vous voulez dire par "les" ? Nous n'avons signé un contrat que pour un seul!
Cette phrase suréaliste traduit la perception qu'a José (et d'autres) de l'enfantement et de l'expérience de donner la vie à un être humain : elle se résume à une transaction qu'il a l'impression de contrôler. Il est un client, il n'est pas un père d'intention. Quel père se serait permis de dire à sa conjointe enceinte: "je n'en voulais qu'un seul"?
José et Tim ont fait affaire en Géorgie pour leur contrat de mères porteuses. Pour vous renseigner sur les conditions des mères porteuses en Géorgie, c'est ici.
Tristement, Tim décède d'un arrêt cardiaque pendant la deuxième grossesse de la mère porteuse. Malheureusement, ces tragédies surviennent. Chaque année, des femmes deviennent veuves pendant leur grossesse. D'autres sont abandonnées pendant ou après la grossesse. Ça ne banalise pas ce qui est arrivé à José, le décès d'une personne aimée est un drame incontestable. Mais nous pensons qu'il est important de rappeler que les femmes mono-parentales, chefs de famille sont nombreuses et qu'elles font rarement la manchette des journaux.
Mais voici comment José réagit à cette triste nouvelle:
TRADUCTION
"Je vais définitivement avorter", me suis-je dit. Il n'y a pas moyen. Qui suis-je pour m'occuper de trois enfants ?"
José a finalement décidé de ne pas mettre fin à son contrat et de ne pas forcer la mère porteuse géorgienne des deux petites jumelles de se faire avorter.
On peut cependant poser la question suivante: qu'aurait fait concrètement José s'il avait décidé de mettre fin à son contrat ("avorter" selon ses termes) ? Ceci n'est pas une question de sémantique.
José n'avorte pas. José met fin à un contrat, il annule une transaction. Il ne porte aucun enfant et la souffrance et l'expérience d'un avortement sera vécue par une autre personne que lui, une femme, qui n'a pas le choix de décider si elle conduit sa grossesse à terme ou non et qui a mis sa santé en danger pour satisfaire son désir de parentalité. Cette femme n'est pas un incubateur.
Mais comment José aurait-il procédé pour obliger une femme à avorter en Géorgie s'il avait choisi cette option? Le terme que José choisit pour raconter son histoire - "je vais définitivement avorter" - est méprisant envers cette femme et envers toutes les femmes. Celles qui ont subi un avortement, celles qui sont déchirées face à ce choix ou celles qui en subiront peut-être un, un jour.
La déshumanisation des femmes et des enfants par l'emploi d'un langage imbu de narcissisme, de misogyne et déshumanisant ne peut pas se conjuguer avec des principes humanistes vers lesquelles nos sociétés aspirent ou desquelles elles se réclament.
Ceci n'est pas le progrès. Ceci n'est pas du "progressisme".
Pour lire l'histoire de José, c'est ici.
(ceux qui ne vous ont pas été présentés)