Quelles sont les preuves admissibles en cour qu'une mère porteuse a été rémunérée au Québec ?

 

Selon un jugement de la cour d'appel du Québec en 2014 c'est "l’existence d’un contrat de mère porteuse comportant « rémunération ".

 

 

 

 

 

 

 

  

La requête initiale

 

 

En 2012 au Québec, il était devenu courant que les tribunaux accueillent favorablement les requêtes en placement en vue d'adoption de la part de  la conjointe ou du conjoint d'une personne ayant fourni son matériel génétique pour concevoir un enfant dans le cadre d'une GPA.  Ces requêtes étaient présentées aux parents bénéficiaires comme une "étape administrative" tant  la décision du tribunal était présumée favorable.

 

C'est ainsi qu'un couple, ayant déjà eu recours à une mère porteuse pour un premier enfant, s'est présenté devant la juge Dominique Wilhelmy pour saisir la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse d’une requête pour ordonnance en placement en vue d'adoption concernant un deuxième enfant (Adoption – 12464 Cour du Québec -  06 novembre 2012). 

 

Le couple avait eu recours à la même mère porteuse, présentée à la cour comme une "amie de la famille". Les parents bénéficiaires ont eu recours à une pourvoyeuse d'ovocytes trouvée sur internet.

 

 

 

  

Le jugement de première instance

 

La juge Wilhelmy a rejeté la requête en adoption de la conjointe au motif que l'article 135.1 de la Loi sur la protection de la jeunesse crée une infraction pénale pour ceux qui offrent leur consentement à l'adoption en contrepartie d'un paiement.

 

Au    paragraphe 14,   la juge note: "Le couple n’a conclu aucun contrat écrit avec la « mère porteuse » ou la « donneuse d'ovule », mais des contrats verbaux en bonne et due forme sont intervenus, comportant une rémunération."

Il vaut la peine de lire les multiples indications qui ont conduit la juge à déclarer qu'il y   avait bien eu rémunération et non "remboursement de frais".

 

Au paragraphe 16:

"Ce constat mine la crédibilité des parties en ce qui a trait aux paiements effectués tant à la « donneuse d'ovule » qu'à la mère porteuse, et le tribunal doit conclure que 7 900 $ ont été versés à madame C* et 2 000 $ à la « donneuse d'ovule », à titre de rémunération."

* Madame C est la mère porteuse

 

 

 

 

 

 

 

  

Des remboursements fournis en preuve pour des frais encourus...par la conjointe.

 

La juge ayant demandé les reçus justifiant les dépenses encourus par la mère porteuse ou la pourvoyeuse d'ovocytes, la requérante (la cojointe) a fourni des reçus médicaux et des dépenses encourus...pour elle-même:

Paragraphe [19]        "Les médicaments mentionnés aux factures produites ont été prescrits à la requérante seulement."

Paragraphe [20]        "Il en est de même des reçus émis pour massages de la Clinique de physiothérapie A, celui émis par la psychologue, madame Gabriela Legoretta, ainsi que le reçu concernant des examens de laboratoire, qui sont tous au nom de A*."

* A est la conjointe (la requérante) qui demande d'accueillir sa requête en adoption.

 

 

  

Le jugement en appel : une rémunération n'est pas l'achat d'un consentement selon les juges

 

Le jugement en appel a été rendu le 10 juin 2014 (Cour d'appel du Québec - adoption 1445 - 2014 QCCA 1162).

 

  • Le juge de la cour d'appel ne reconnaît pas qu'il y a eu rémunération (il interprète les transferts d'argent comme étant des remboursements de frais, même si des factures présentées ne soutiennent pas cette interprétation) mais ajouteque... "la rémunération est sans importance" puisque le contrat était jugé nul et de nullité absolue (article 541 du code civil du Québec à l'époque des faits).

 

  • Le juge de la cour d'appel ne reconnaît pas que les paiements reçus pour la GPA équivalent à un consentement à l'adoption de l'enfant de la part de la mère porteuse, (bien que l'article interdit un paiement en contrepartie d'un consentement à l'adoption,  que ce consentement s'établisse "directement ou indirectement")

 

  • Le juge de la cour d'appel justifie ces remboursements du fait que : " [...]  dès le premier jour où ils entreprennent de mettre leur entente à exécution, l’appelante, B et C savent que l’enfant à naître sera adopté par l’appelante avec l’accord de B et de C."  Cette justification étonne compte tenu que l'adoption privée est interdite au Québec.

 

  • Le juge de la cour d'appel admet ne pas savoir comment il aurait considéré la requête en adoption s'il avait été déposé en preuve une confirmation signée de rémunération contre services de GPA par les parties en cause (paragraphe [27] : "Je n’exclus pas que la question puisse être envisagée sous un autre angle si, de fait, la preuve démontrait l’existence d’un contrat de mère porteuse comportant « rémunération », selon le terme employé par la juge de première instance, ou « rétribution » au sens de l’article 6 de la LPA. Serait-on alors en présence d’une contravention, non seulement au paragraphe 6(1)de la LPA, mais aussi au paragraphe 135.1a) de la LPJ? "  Cette phrase étonne tout autant.  Il serait extrêmement surprenant que des contrevenants signent des contrats témoignant de leur fraude...  Or, pour le juge, à moins d'avoir une telle preuve en main, il n'y a pas de rémunération de mère porteuse...

 

 

11(1) La personne qui rembourse des frais visés par le présent règlement tient, pour chaque remboursement, un dossier contenant tous les documents reçus aux fins du remboursement pendant une période de six ans suivant la date du remboursement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'ordre public

Pour motiver sa décision en faveur de la requête en adoption, le juge termine avec cette conclusion (notre emphase):

 

La notion d’ordre public a certes un champ d’application nécessaire dans ce domaine : ainsi, la marchandisation [81] ou chosification de la personne humaine est une tendance à laquelle le droit doit résister. Mais invoquer cette notion d’ordre public venue du droit des obligations dans le contexte précis d’un dossier comme celui-ci lui prête une portée qu’elle n’a pas – elle n’a pas ce caractère souverain et péremptoire [82]. Et elle ne peut servir à contrecarrer la volonté de parents adoptifs qui, avec transparence et dans le respect des lois sur l’adoption, ont voulu avoir recours aux ressources de la science médicale pour que soit procréé un enfant, leur enfant, et qu’il lui soit donné une famille. À mon sens, voilà aujourd’hui l’état des choses et du droit."

 

Notre commentaire: 

La raison pour laquelle la requête avait été rejetée en première instance n'était pas lié au "recours aux ressources de la science médicale" mais plutôt à la contractualisation des fonctions reproductives d'une femme contre rémunération.  Le couple avait déjà eu recours aux "ressources de la science médicale" (fécondation in vitro), sans succès.  C'est le contractualisation qui est en cause ici, et non les possibilités médicales de la science.