La comparaison entre les risques des GPA et les risques des grossesses avec FIV
Les mères porteuses québécoises qui s'engagent dans une grossesse pour autrui pour la première fois ignorent la plupart du temps les implications et les risques des interventions qu'elles subiront. Elles s'imaginent souvent qu'elles s'engagent dans un processus de grossesse simple s'apparentant à une grossesse "spontanée".
Le gouvernement québécois n'a pas prévu dans sa réglementation de les informer des risques médicaux importants associés à cette pratique et de s'assurer qu'elles obtiennent ces informations d'une source indépendante. L'article 541.11 du code civil oblige une rencontre avec un professionnel habilité à l’informer seulement sur les implications psychosociales du projet de grossesse pour autrui et sur les questions éthiques qu’il implique. Le législateur a délégué aux cliniques de fertilité et aux agences intermédiaires la responsabilité d'informer sur les risques médicaux. Or ceux-ci n'ont aucun intérêt commercial à s'assurer d'une divulgation et d'une compréhension complète de ces risques.
Il est raisonnable de penser qu’une divulgation entière des risques (incluant les risques de développer des cancers suite à des traitements hormonaux invasifs et récurrents) pourrait amener un désengagement de la mère porteuse qui irait à l’encontre des intérêts privés de la clinique et ceux des parents prospectifs.
Pour dresser un portrait fidèle des risques des GPA, il paraît donc logique de se tourner vers des organismes gouvernementaux indépendants et soucieux des droits de chacun.
Pour en rendre compte nous nous sommes attardées à l'évaluation de ces risques exposés par le Conseil du statut de la femme (CSF) et aux études de la Chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux. Comme il s'agit d'organismes subventionnés par l'État, desquels il est paraît légitime d'attendre une solide rigueur scientifique, nous regrettons de devoir partager quelques déceptions que nous exposons ici.
Les recherches du Conseil du statut de la femme (CSF)
Pour mesurer les risques médicaux associés aux GPA, il est nécessaire de comparer les risques de ces grossesses avec les risques associés aux grossesses spontanées. Ainsi la synthèse des risques rédigée par le CSF dans son document intitulé "Grossesses pour autrui : état de la situation au Québec" (2023) aurait dû écarter les analyses comparant les risques des GPA à des grossesses ayant eu recours à des FIV. Sachant qu'il a été démontré que les grossesses avec FIV cumulent des risques supplémentaires pour la santé des femmes, il paraît évident qu'on ne peut pas utiliser des études qui concluent qu'il n'y a pas plus de risques d'avoir recours à des grossesses avec FIV...qu'il n'y a de risques à recourir à des grossesses avec FIV (la majorité des GPA)!
Pour cette raison, le CSF aurait dû écarter les conclusions de Söderström-Anttila :
"Selon la synthèse de Söderström-Anttila et al. (2016) de cinq études menées aux États-Unis (3), au Canada (1) et en Finlande (1) parues entre 1990 et 2015, les taux rapportés de troubles hypertensifs de la grossesse (THG) (ex. : prééclampsie) et de complications liées au positionnement ou au décollement du placenta sont similaires pour les GPA avec FIV et pour l’ensemble des FIV." (Tableau 7 p. 51)
Le CSF aurait dû écarter aussi les conclusions de l'analyse de Murugappan:
"Sur la base d’un registre national non exhaustif, l’analyse de Murugappan et al. (2018) compare 24 269 GPA à 1 313 452 cycles de FIV qui ne concernaient pas de femmes porteuses. Pour tous les types de FIV analysés, les taux de naissances vivantes étaient plus élevés pour les femmes porteuses" (Tabelau 7 p.51)
Le CSF aurait dû écarter les conclusions de Segal et al. (2018):
"Segal et al. (2018) comparent les singletons nés de femmes porteuses et conçus grâce à un don d’ovules (n = 716) à ceux nés de femmes ayant reçu un don d’ovules (n = 5 632) en 2014."
Un don d'ovule implique obligatoirement... une FIV.
Étonnamment, le document du CSF a accordé peu d’importance aux risques médicaux signalés dans l’étude "A Comparison of American Women's Experiences with Both Gestational Surrogate Pregnancies and Spontaneous Pregnancies" (Lahl et Al. 2022) alléguant que cette étude porte sur des GPA pratiquées dans un contexte commercial (États-Unis), et que le profil socio-économique des mères porteuses peut différer dans un contexte de GPA altruiste (p.50). Ces commentaires déconcertent car les risques médicaux objectifs sont en sus des risques liés au profil socio-économique. De plus, des avocates ayant travaillé avec des mères porteuses au Canada, témoignent au contraire que le risque médical est présent, même dans les GPA faisant l’objet de conventions “non-rémunérées”1.
1 CARSLEY, S. (2020) “Lawyers pointed out that surrogates are subjecting themselves to health risks associated with pregnancy, even though they are not being paid”, p.260.
La Chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux
Les mères porteuses québécoises seraient légitimées de penser pouvoir se référer à la Chaire de recherche du Canada sur la Procréation pour autrui et liens familiaux pour obtenir des informations indépendantes sur les risques qu'elles courent. La Chaire est localisée à l'Université du Québec en Outaouais et bénéficie des subventions du gouvernement canadien. Compte tenu qu'il s'agit d'une pratique très controversée d'un point de vue éthique (la pratique est interdite dans de nombreux pays européens), les Canadiennes devraient dès lors s'attendre à ce que la chaire porte une attention particulière à la santé et la sécurité des mères porteuses et des pourvoyeuses d'ovocytes. Elles seraient en droit de s'attendre que la chaire de recherche priorise des études qui mesure les impacts sur les parties les plus vulnérables des contrats : les mères porteuses et les enfants.
Malheureusement la chaire semble investir beaucoup de ressources à explorer les besoins des clients plutôt qu'à investiguer les effets de ces "besoins" sur les femmes et les enfants qu'elles portent. Une large proportion des travaux est consacrée aux bénéficiaires de cette industrie. On trouve même une forme d'encouragement à recourir à la GPA dans la perspective d'en augmenter l'accès, notamment pour les clients de la communauté LGBTQ. Pourtant, que la demande provienne d'un couple homosexuel ne la rend pas plus ni moins éthique. Le mandat de la chaire est d'ailleurs éloquent:
"La Chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux" vise à développer une compréhension globale et intégrative de la réalisation de projets parentaux à l’aide d’une tierce partie, qu’il s’agisse de donneurs ou de donneuses de gamètes et d’embryons ou de femmes porteuses".
C'est ainsi que, sans surprise, la titulaire de la Chaire de recherche, Mme Isabel Côté répondant à une question sur les risques des grossesses pour autrui (Min 1h.49:56), reprenait le même sophisme scientifique que le CSF en comparant les risques de GPA... aux risques associés aux grossesses avec FIV.
Ajoutons que même cette comparaison des risques entre les FIV pour soi-même et les FIV dans le cadre d'une GPA a d'ailleurs été démontrée fausse dans une récente recherche ontarienne intitulée "Severe Maternal and Neonatal Morbidity Among Gestational Carriers: a Population-Based Cohort Study" (2024). En effet, les chercheurs ont trouvé que les GPA avec FIV sont "significativement" plus risquées que les grossesses ayant recours à des FIV pour soi-même, et que les grossesses sans recours à la procréation médicalement assistée (grossesses spontanées):
Résultats comparés
Cohortes étudiées:
GROUPE 1 : 937 938 (97,7 %) grossesses (avec naissance vivante unique) étaient issues d'une conception non assistée (grossesses spontanées).
GROUPE 2: 20,958 (2.2%) grossesses (avec naissance vivante unique) avaient eu recours à une fécondation in vitro (FIV).
GROUPE 3: 956 (0.1%) grossesses pour autrui (avec naissance vivante unique) avaient eu recours à une FIV.
Grossesses spontanées |
Grossesses avec FIV |
Grossesses pour autrui avec FIV |
|
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Taux de morbidité maternelle sévère 1 | 2.4 % | 4.6 % | 7.1 % |
Hémorragies post-partum | 5.7 % | 10.5 % | 13.9 % |
Problèmes d'hypertension | 6.6 % | 11.6 % | 13.9 % |
Taux de morbidité néonatal sévère 2 | 6 % | 9.1 % | 6.5 % |
Ces résultats pourraient s'expliquer, selon les chercheurs, par l'utilisation d'ovocytes étrangers (ovocytes à usage non-autologues) dans la majorité des grossesses pour autrui: " For gestational carriages, having a non autologous embryo may heighten that risk, such as from immunologic mechanisms".