Le contournement des lois sur la GPA par les tribunaux québécois

 

 

 

 

 

 

 

  

Placés devant le fait accompli, les tribunaux contournent les lois québécoises depuis plusieurs années au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant issu de cette pratique.

 

 

La grossesse pour autrui (GPA), si elle est pratiquée sur le territoire français, est passible de peine d’amendes et d’emprisonnement. C’est pourquoi certains citoyens français se tournent vers le Québec pour obtenir des enfants via cette pratique. Il est souvent présumé que la loi québécoise sur la GPA, entrée en vigueur le 6 juin 2023, est « éthique » et que l’intention proclamée du législateur québécois de protéger les femmes et les enfants est efficace et respectée par les tribunaux dans son application.

 

Le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette avait rassuré ceux et celles qui avaient émis des doutes sur son projet de loi. Il déclarait, non pas vouloir favoriser ou encourager la grossesse pour autrui, mais plutôt vouloir la baliser. Des “verrous” par la voie légale et par la voie judiciaire feraient en sorte que « tout le monde au Québec, qui voudront recourir à la grossesse pour autrui, vont savoir que si vous ne respectez pas ces paramètres-là d'ordre public, bien, vous ne pourrez pas avoir l'enfant issu de votre projet parental ». Hélas, un récent jugement de la Cour supérieure du Québec renverse déjà cette promesse.

 

 

 

 

 

  

Le recours en justice

 

En 2023, un citoyen français et son conjoint commissionnent la grossesse d’une femme domiciliée au Québec dans le but d’obtenir un enfant. Le contrat est signé en Ontario, les ovocytes proviennent des États-Unis. Le transfert de l’embryon dans l’utérus de la mère (évènement qui marque le début de la grossesse) a lieu en Californie, le 7 juin 2023 soit le lendemain de l’entrée en vigueur de la loi.

 

L’enfant naît en 2024. Plusieurs conditions préalables à la GPA ne sont pas respectées dont la principale : les parents prospectifs ne sont pas domiciliés au Québec depuis au moins 1 an. En l’absence du respect des balises légales – les « verrous » - cette naissance n’est pas considérée comme une GPA par l’administration québécoise. Conséquemment, le Directeur de l’État civil québécois consigne le nom de la mère et du père de l’enfant sur l’acte de naissance de l’enfant car la filiation s’établit alors « par le sang ».

 

La mention de la mère sur l’acte de naissance de son enfant pose un problème à cet homme : l’adoption plénière de l’enfant ne sera pas accordée à son conjoint un fois de retour en France. Confiant d’obtenir gain de cause, les protagonistes saisissent les tribunaux québécois pour demander de rectifier l’acte de naissance a postériori. Ils désirent voir le nom de la mère effacé et remplacé par l’inscription « mère non déclarée », ce qui falsifie les faits entourant la naissance de cet enfant. Cet assemblage juridique leur garantira la possibilité de contourner les conditions de la loi française sur l’adoption plénière.

 

Étonnamment, vue la volonté du ministre de « verrouiller » sa loi, le procureur général du Québec n’a pas jugé pertinent de présenter une défense pour la Direction de l’État civil durant l’audience. En dépit du fait que les arrangements des protagonistes n’étaient pas conformes au cadre législatif québécois, le tribunal a accueilli favorablement la requête, invoquant l’intérêt supérieur de l’enfant.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cet exemple mets en lumière l'impossibilité d'appliquer sur des êtres humains,  des  cadres législatifs régulant les transactions concernant les biens et les services.

 

Quand l'objet de la transaction est un enfant, il devient impossible d’imposer des sanctions et des corrections concrètes a posteriori pour obliger les parties à se conformer à l’ordre public dans l’exécution de ces contrats sans porter atteinte à l'intérêt de l'enfant.

 

 

 

 

 

 

De manière inquiétante, la raison pour laquelle le procureur général du Québec a choisi de ne pas intervenir pour défendre le Directeur de l’État civil, est que le cas apparaît unique et que la situation ne risque pas de se reproduire selon le juge. La réalité complexe de l’industrie internationale de la GPA remet en cause cette croyance[GG1] . Quelle sera la décision du tribunal si la mère porteuse a été rémunérée, si elle a moins que 21 ans et si, comme en l’espèce, les parents prospectifs sont de nouveau domiciliés hors du Québec?

 

La France, le pays des droits de l’homme doit cesser de tolérer que ses citoyens exercent des pressions indues sur l’État civil d’autres juridictions, dans le but de contourner la loi française. Les femmes québécoises et leurs enfants méritent la même considération, la même dignité que les citoyennes françaises. À l’instar de l’Italie et de l’Espagne, il nous paraît urgent que la France fasse de la GPA un délit universel, sanctionné quel que soit le territoire sur lequel elle est pratiquée.

 

Si les transgressions à l’encadrement prétendument « protecteur » sont « amnistiées » par les tribunaux, faisant sauter les « verrous » dès la première infraction, on peut se questionner sur la fonction réelle de l’encadrement de la GPA au Québec et dans le monde. La reconnaissance légale de la filiation « d’intention » par les États est le socle de l’industrie lucrative de la GPA et devient finalement, en dépit des bonnes intentions proclamées, le moteur de sa croissance. Le seul moyen de tarir cette industrie à la source est de cesser de reconnaître toutes les filiations obtenues par des contrats dont l’objet est un être humain, car cette pratique est contraire à l’ordre public et au bien commun.

 

Mais, dès lors que les lois, normes et règlements sont introduits pour réguler des transactions ayant pour objet un enfant, et pour moyen, le corps d’autrui, l’application de ces règlements se heurte à la réalité du fait accompli. La situation ne peut être ici corrigée de manière satisfaisante a posteriori, car le préjudice est infligé a priori, au moment de la signature du contrat, qui prévoit que l’enfant sera cédé à autrui avant même d’être conçu.