Un droit de visite contesté

Selon Asha, Rohan et elle auraient vécu une relation amoureuse avant et après la naissance de l’enfant Kama.

LE LITIGE

 

Les parties en cause

 

* Noms fictifs

Marié depuis 2009 le couple Rohan/Chandra* habite Vancouver (C-B) et éprouve des difficultés à concevoir un enfant.

Asha* est une amie du couple depuis 2014. Elle est mère célibataire de 2 enfants nés d’une relation terminée.

Kama* est une fillette de 4 ans (au moment de la poursuite).

 

 

U ne mère porteuse souhaite avoir accès à sa fille tel qu’il avait été conclu dans la convention de GPA qu'elle avait signée avec le couple de clients.

 

Elle intente un procès pour faire reconnaître ses droits de visite et souhaite pouvoir continuer à avoir accès à sa fille en attendant le jugement.

 

Le jugement original peut-être consulté ici (en anglais seulement).

 

 

 

C ette cause a été entendue et un jugement a été rendu à Vancouver le 30 juin 2021 devant l'Honorable Milman, juge de la Cour Supérieure de Colombie-Britannique. Les noms utilisés ici sont fictifs.

 

 

Le récit des évènements

 

L e couple Rohan/Chandra a fait plusieurs voyages en Indes pour inséminer Chandra et avoir recours à des Féconcations In Vitro (FIV) afin qu’elle puisse devenir enceinte. Parmi les tentatives, le couple a aussi eu recours à une mère porteuse indienne avant que cette pratique ne soit interdite aux citoyens étrangers.  Toutes ces tentatives ont échoué.

 

En février 2016 Asha, une amie du couple, offre pour la première fois de porter un enfant pour eux.

 

En mars et avril 2016, elle accompagne le couple dans un autre voyage aux Indes. 

 

Au cours de ce voyage, des embryons congelés qui avaient été fécondés à l’aide des ovocytes de Chandra et du sperme de Rohan ont été implantés dans l’utérus de Chandra, mais celle-ci a fait une autre fausse-couche à son retour au Canada en mai 2016.

 

En juillet 2016 Asha s’offre à nouveau de porter un enfant pour le couple en utilisant des embryons congelés non utilisés qui avaient été conçus par FIV avec les ovocytes de Chandra et le sperme de Rohan.  Cette tentative se traduit aussi en échec.

 

Les VERSIONS DIVERGENTES SUR LA NATURE DES RELATIONS

 

S elon Asha, Rohan et elle auraient vécu une relation amoureuse avant et après la naissance de l’enfant Kama. De son côté, Rohan admet une relation amoureuse, mais seulement après la naissance de l'enfant.

 

Asha a témoigné être tombée 2 fois enceinte de Rohan avant la naissance de Kama.  Elle a interrompu ses deux grossesses volontairement et a fourni en preuve à la cour les documents de la clinique qui ont pratiqué ces avortements. La personne inscrite pour appeler en cas d’urgence était Rohan dans les 2 cas.

Conception et naissance de Kama

 

E n août, le couple et Asha décident de faire un autre essai, mais cette fois en utilisant les ovocytes d'Asha et le sperme de Rohan. Ici les versions divergent encore ; selon Asha, le bébé a été conçu par le biais d'une relation sexuelle entre elle et Rohan. Selon le couple, Asha aurait été inséminée avec le sperme de Rohan à l’aide d’une panoplie « maison ». Cette fois, la grossesse réussit.

 

En mai 2017 Kama est née.

 

Il s'avère que la relation amoureuse entre Asha et Rohan s’est poursuivie (ou a commencé selon les versions des parties en cause) après la naissance de l’enfant. La relation amoureuse après la naissance n’est pas contestée. Asha prétend que Rohan lui aurait promis qu’après la naissance de l’enfant, il quitterait Chandra et qu’ils vivraient ensemble « comme mari et femme ».  Cette version est contestée par le couple. 

 

Norway

 

LA CONVENTION DE GROSSESSE POUR AUTRUI

 

Un contrat de grossesse pour autrui a été signé entre les parties le 15 juin 2016 soit avant la conception de l’enfant et sans la présence de témoins. Voici les termes de ce contrat selon les documents déposés en cour (les noms ont été changés).

 
 
 

 
 
 

 

 

 

La convention de GPA signée par les parties en cause

 

(reconstitution à partir des textes des documents mis en preuve)

À PROPOS DE CETTE ENTENTE

 

A SHA conteste que la conception ait été faite à l’aide une panoplie « maison ». Elle prétend que la conception s’est faite naturellement, c-a-d. par relation sexuelle. Elle prétend également que ROHAN lui aurait promis qu’après la naissance de l’enfant, il quitterait CHANDRA et qu’elle et ROHAN vivraient ensemble « comme mari et femme ».

 

Cette version est contestée par le couple Rohan/Chandra. Toutefois il est admis par tous qu'ASHA et ROHAN ont entretenu une relation amoureuse après la naissance de KAMA

 
 
 

 

 

Les déclarations des parties après la naissance de l'enfant

 

(reconstitution et traduction à partir des textes des documents mis en preuve)

Grossesse et enfant contre Argent

 

P endant les deux premières années de KAMA, ASHA dépeint sa relation avec l’enfant ainsi :

 

ASHA déclare que même si elle a permis à KAMA de rentrer chez elle avec les intimés, elle a continué à jouer un rôle maternel dans la vie de KAMA pendant les deux premières années. Elle dit l'avoir allaitée, avoir changé ses couches, avoir cuisiné pour elle, l'avoir baignée, avoir joué avec elle, lui avoir lu des histoires et l'avoir emmenée à ses rendez-vous médicaux. Elle dit qu'elle la voyait généralement cinq ou six fois par semaine, la gardant souvent la nuit et pendant les vacances en l'absence des répondants. Elle dit que KAMA l'appelait "Masi", ce qui signifie "tante" en punjabi, et que KAMA faisait partie de la famille d'ASHA.

 

(Paragraphe 24 du jugement - Notre traduction)

 

 

 

 

 

L a version du couple diffère de celle d'ASHA sur cette période de la vie de l’enfant : Bien que les intimés reconnaissent qu'ASHA ait passé du temps avec KAMA pendant cette période, ils disent qu'ils étaient généralement présents pendant les visites et qu'ASHA n'a jamais été autorisée à garder KAMA pour la nuit. Ils affirment que la situation est devenue de plus en plus tendue lorsqu'ASHA a commencé à leur poser des exigences de plus en plus grandes. En particulier, ASHA a voulu formaliser un calendrier fixant son temps de contact avec KAMA et a exigé d'être payée 100 000 dollars.

(Paragraphe 25 - Notre traduction)

 

LE PAIEMENT

 

L es parties s’entendent pour admettre qu’il y a eu un versement à ASHA. Au Canada il est permis de rembourser des frais occasionnés par une grossesse pour autrui, mais il est criminel de payer pour une GPA. En novembre 2017, les intimés ont versé à ASHA 40,000 $ plus les taxes pour ses frais de maternité de substitution. ASHA nie que le paiement était destiné à cette fin. Elle affirme plutôt qu'il s'agissait d'un cadeau que ROHAN lui avait offert. Pour démontrer que leur version des faits est la bonne, les intimés ont produit un SMS (texto) reçu en novembre 2017 dans lequel ASHA demande son " chèque pour la maternité de substitution ".

Paragraphe [26] - Notre traduction

 

À cette époque, la relation entre ASHA et le couple continue de se détériorer. En octobre 2018 ASHA s’investit dans une nouvelle relation amoureuse. Sa relation amoureuse avec ROHAN se terminera à l’été 2019. Entretemps CHANDRA est devenue enceinte en janvier 2019 et a donné naissance à des jumeaux. En février 2020, le couple interdisait l’accès d'ASHA à sa fille. ASHA poursuit le couple en justice pour retrouver un accès sa fille et faire reconnaître ses droits parentaux. Cette cause sera entendue en janvier 2022.

 

LE JUGEMENT

 

U n jugement temporaire a été rendu par la Cour suprême de la Colombie-Britannique en juin 2021. La requête d'ASHA visait l'obtention d'un droit de visite temporaire à KAMA en attendant l'arrêt de cour décisionnel. Malheureusement, cet accès lui sera refusé par le juge en attente du procès de janvier 2022. Dans son analyse justifiant sa décision le juge écrit : "Je ne suis pas persuadé que KAMA sera bientôt prête à comprendre son lien avec ASHA, compte tenu de l'histoire relatée ci-dessus."

Paragraphe 50 - Notre traduction

 

ANALYSE DU JUGEMENT

 

C et arrêt de cour est une admission tacite que les circonstances de la naissance de KAMA lui ont causé un préjudice. Placé devant un fait accompli, le juge doit trancher en fonction de l'intérêt supérieur de l'enfant. En accordant la parentalité exclusive aux parents prospectifs (en attendant l'issue finale de cette poursuite), le juge estime qu'il est dans l'intérêt de l'enfant de couper les liens d'attachement envers la femme qui l'a porté et qui lui est génétiquement liée: sa mère biologique.

 

Cette décision est prise en dépit du fait que la mère porteuse a démontré son attachement et ses compétences à prendre soin de l'enfant, compétences qui sont retenues à charge contre elle:

 

"Je pense cependant qu'il serait impossible pour ASHA de masquer ses véritables sentiments pour KAMA pendant qu'elle s'occupe d'elle. En fin de compte, ASHA n'aspire pas à avoir une relation de tante avec KAMA, mais une relation maternelle. Comme elle l'a elle-même déclaré dans sa déclaration sous serment, lorsqu'elle était encore en contact avec KAMA, elle "s'est acquittée avec compétence et amour de toutes les tâches et responsabilités qu'implique le fait d'être la mère de KAMA".

(Paragraphe 49 - Notre traduction)

 

 

 

Cette décision du juge contrevient également à l'entente initiale de GPA, signée par toutes les parties, et qui stipulait qu'ASHA pouvait avoir accès à l'enfant.

 

Bien que le juge reconnaisse et apprécie qu'ASHA ne revendique pas un statut maternel, il lui interdit quand même des contacts avec sa fille en attendant que sa cause soit entendue, parce qu’il estime impossible pour elle de pouvoir réprimer son sentiment maternel. Son jugement intervient activement dans le lien d'attachement de KAMA avec sa mère et dans son développement psychologique. Il la prive précocement de l'accès à ses origines et à sa filiation, un préjudice qui a été reconnu au Québec dans le cas des enfants mis en adoption.

 

Il paraît important de noter également le comportement du père dans l'entente initiale. Ce dernier ne reconnaît pas lui-même le lien de filiation de son épouse (sa conjointe) envers l'enfant puisqu'il avait écrit:

 

"If something were to happen with the intended mother during the pregnancy or 2 years after (divorce or illness) the intended father will take full custody of the child."

Paragraphe 13 (Notre traduction)

 

"Si quelque chose devait arriver à la mère intentionnelle [sa conjointe CHANDRA] pendant la grossesse ou deux ans après (divorce ou maladie), le père intentionnel obtiendrait la garde complète de l'enfant."

 

Cette disposition dans le contrat de GPA dévoile clairement l'intention du père de priver son épouse de ses droits parentaux si un divorce survenait à partir du début de la grossesse et jusqu'à 2 ans après sa naissance. Le juge ne relève pas ce comportement questionnable relativement aux compétences parentales du père qui démontre par là une insensibilité préoccupante à priver cet enfant d'une mère, qu'elle soit biologique ou "d'intention".