Un contrat est une entente de consommation de biens ou de services


Comment des lois de protection des consommateurs peuvent-elles s'appliquer quand une convention engage les fonctions reproductives et corporelles d'un être humain ?

Qu'advient-il à la mère quand le foetus est l'enjeu d'une grossesse et que des clients s'estiment être lésés dans une logique de marché et de consommation ?

 

Brittney Pearson est une mère porteuse habitant la Californie, un État où la grossesse pour autrui (GPA) est commerciale. Mère de 4 enfants, elle s’est engagée en 2022 à faire une deuxième GPA, cette fois pour un couple d’hommes. À sa 24ème semaine de grossesse, elle reçoit une terrible nouvelle : elle a un cancer du sein. Après avoir absorbé ce choc, elle contacte l’agence intermédiaire qui l’avait recrutée pour l’informer de la situation et demande à son équipe médicale quelles mesures elle pourrait prendre pour préserver la santé du bébé pendant la durée de ses traitements.  L’équipe oncologique la rassure :  le type de chimiothérapie qu’elle recevra pendant sa grossesse est sans danger pour le fœtus, les traitements plus agressifs pourront être administrés après l’accouchement.  Elle accepte ce protocole de traitements.

 

Mis au courant de la situation, les parents bénéficiaires réagissent mal.  Ils exigent d’être présents aux rencontres médicales et veulent parler directement à l’oncologue.  Brittney leur offre plutôt de faire suivre toutes les informations sur sa santé après ses rencontres.  Ils refusent et la relation dégénère.  Le couple la menace ainsi que son équipe oncologique de poursuites judiciaires. 

 

S’en suivent des échanges entre les avocats au cours desquels est débattu le droit des parents prospectifs d'interdire des traitements d’oncologie à Brittney pendant sa grossesse.  Cette entente de GPA a lieu en Californie, un État réputé pour son progressisme.  On n'ose imaginer le dénouement d'une situation similaire en Ukraine, au Gabon, en Ouganda, au Mexique ou en Colombie.

Malheureusement, une IRM révélera par la suite la présence de métastases. L’équipe oncologique informe Brittney que pour sauver sa vie, elle devra recevoir des traitements plus agressifs et plus tôt. En d’autres mots, il faut provoquer l’accouchement.  Les ressources médicales se réunissent pour trouver une équipe de soins spécialisés pour grands prématurés et tout est mis en œuvre pour tenter de sauver la vie du bébé.  Les parents prospectifs s'y opposent et menacent de poursuites les hôpitaux concernés et l'équipe oncologique.

 

Ils ne veulent pas d’un enfant né avant la 38ème semaine de grossesse.  Ils refusent que des soins soient prodigués à cet enfant qui décédera quelques temps après sa naissance même si Brittney avait trouvé des parents prêts à l'adopter.  Elle raconte ce récit consternant dans une entrevue avec Jennifer Lahl.

 

On peut blâmer le comportement des parents prospectifs, mais on ne peut ignorer les raisons pour lesquelles ils se sentent légitimés d’agir ainsi.  C'est la reconnaissance juridique d’un « contrat » sur les fonctions reproductives d'un être humain qui justifient ces comportements de consommateur.  C’est parce que ces contrats s’inscrivent dans un cadre d’accords de service sur des corps humains que des clients se sentent légitimés d’avoir ces exigences indignes.  

 

Quand a-t-on vu un futur père refuser son enfant s'il naît avant la 38ème semaine? 

On pourrait facilement qualifier le comportement d'un conjoint qui aurait de telles exigences vis-à-vis à la mère de son enfant comme une forme de "contrôle coercitif". Un conjoint en voie de devenir père aura à cœur la vie et la santé de sa conjointe et celle de son enfant, particulièrement si elle est la mère de ses enfants.

 

Or, des clients s'estiment légitimés d'avoir des exigences qu'ils n'auraient pas vis-à-vis une conjointe parce qu'ils ont mis le corps d'une femme "sous contrat", qu'ils ont payé un multitude d'intervenants et qu'ils anticipent un résultat.

 

Il serait socialement mal vu de dicter à sa conjointe par écrit ses exigences sanitaires, médicales ou comportementales pendant sa grossesse.  C’est pourtant ce qui se passe dans un contrat de GPA.  Des femmes acceptent de se conformer aux exigences de parfaits étrangers, exigences qu'elles refuseraient sans doute de la part d'un partenaire intime au nom de leur autonomie et leur agentivité.  La GPA est l'opposé de la libre disposition de son corps.  C'est l'asservissement de son autonomie et son intégrité corporelle par un contrat.

 

 

 

 

Une grossesse n'est pas une chaîne de production

 

La GPA est une suspension des droits d'une femme.  En effet, dans quelle autre situation verrait-on une personne faire intervenir des avocats pour interdire à une femme enceinte de prendre des médicaments contre son cancer du sein? Il serait socialement mal vu qu'un homme dicte à sa conjointe par écrit ses exigences sanitaires, médicales ou comportementales pendant sa grossesse.  C’est pourtant ce qui se passe dans un contrat de GPA.  Des femmes acceptent les exigences de parfaits étrangers sur leur corps et sur leurs comportements qu'elles n'accepteraient pas de la part d'un partenaire intime.  Les partisans de la GPA proclament que la GPA relève de la liberté des femmes de disposer de leur corps. Se soumettre à ces exigences est le contraire de disposer librement de son corps.


 

La loi québécoise n’a pas prévu d’évaluer les qualités ou les compétences parentales des parents prospectifs dans une GPA.  Seule leur capacité financière est validée par les intermédiaires.  Des menaces indues pèsent sur ces femmes quand elles n’ajustent pas leurs comportements à des clauses contractuelles engageant les fonctions reproductives de leur corps.  Dans ce litige, la mère porteuse ne voulait pas garder l'enfant: elle voulait lui sauver la vie. Elle en a été empêchée parce que la loi californienne fait en sorte que les parents prospectifs sont investis de l’autorité parentale dès la naissance de l’enfant. La mère porteuse est réduite à une fonction d’incubateur biologique.

 

Un contrat de GPA suggère que les intérêts des parents prospectifs, ceux de la femme et de l’enfant à naître convergent.  Pourtant il suffit que quelque chose aille mal pour que les intérêts s'opposent.  Une grossesse humaine n’est pas une chaîne de production.  C’est un processus biologique complexe qui sollicite l’entièreté du corps de la femme bien au-delà de son utérus.  Une grossesse interfère avec le rythme cardiaque, le volume sanguin, l’assimilation du calcium, la pigmentation, la vessie, les reins, l’estomac, les seins, les ligaments, les articulations, la réserve de graisse, etc.  En d’autres mots, tout peut arriver.  Et les risques sont augmentés quand une fécondation in vitro est utilisée dans le processus.  Ils sont encore augmentés quand un ovocyte étranger au corps de la mère est fécondé et implanté.

 

On peut penser que ces deux hommes sont des exceptions.  Qu’il est odieux de vouloir négocier les traitements oncologiques de la femme qui porte leur enfant ou de décider qu’un enfant né avant la 38ème semaine ne mérite pas de vivre.  On peut aussi penser que la loi québécoise protège de ces abus.

Les cliniques de fertilité sont aussi exposées à ces exigences de qualité et à cette logique de consommateur parce que la GPA est un marché. Pink News rapportait en 2022 qu’un couple d’hommes états-uniens poursuivait leur clinique de fertilité parce que leur bébé, issu d’un contrat de GPA, n’était pas né avec le sexe qu'ils avaient exigé sur leur contrant. Ils avaient commandé un garçon et obtenu une fille. 

 

Pour les clients de GPA, une grossesse est une entente de consommation.