Madison et Riley : des enfants sans citoyenneté
Le jugement de cette cause a été prononcé à la Haute cour de justice - Division de la famille - du Royaume-Uni le 19 février 2025 (Re Case No: ZC151/23 & ZC152/23) par le juge HON SIR ANDREW MCFARLANE. La cause avait été entendue le 30 juillet 2024 et s'intitule "Re Z (Unlawful Foreign Surrogacy: Adoption)"
Pour mieux comprendre les enjeux et les liens unissant les mises en cause et les plaignants utilisez le bouton bleu "Les protagonistes" au haut de l'écran .
Le contexte
Les parties demanderesses
Madame Wilson et Madame Smith (noms fictifs) sont des citoyennes britanniques et résident au Royaume-Uni depuis toujours. Au moment des faits (2020), les deux femmes étaient âgées dans la soixantaine avancée. Au moment de l'audition de la cause (2025) l'une d'elles avait plus de 70 ans et l'autre s'approchait de cet âge.
Les parties mises en cause
La partie mise en cause dans cette poursuite est:
- Secretary of State for the Home Department (UK)
et d'autres firmes d'avocats au nom de deux enfants nés de GPA.
Les deux GPA
Mme Wilson et Smith étaient en couple depuis de nombreuses années et ont choisi d'avoir deux enfants en ayant recours à une agence intermédiaire de GPA localisée dans la République turque du Nord de Chypre (une république auto-proclamée et reconnue que par la Turquie). Les deux femmes étant beaucoup trop âgées pour produire des ovocytes, elles ont eu recours à la même donneuse d'ovocyte et au même donneur de sperme pour concevoir in vitro deux embryons qu'elles demanderont ensuite à être implantés dans les utérus de deux femmes. Cet arrangement fait en sorte que les enfants seront génétiquement frères ou soeurs (nous ne connaissons pas le sexe des enfants).
La GPA est interdite en République turque du Nord de Chypre et la loi interdit les placements d'enfants chez des couples de même sexe. Quoi qu'il en soit, Mme Wilson et Smith ont payé l'agence turque 120,000£ (environ 215,000$ Can) pour mettre en oeuvre cette entente. La clinique de fertilité associée à l'agence a fait venir des femmes ukrainiennes (un pays qui était en guerre à cette époque) pour porter les embryons conçus dans ses laboratoires. C'est ainsi que deux mères porteuses ukrainiennes ont été utilisées pour porter deux enfants commissionnés par deux femmes âgées britanniques, un pays qui autorise la GPA sur une base altruiste, comme le Canada.
Les documents de cour indiquent que les donneurs de gamètes ont été choisis "pour répliquer l'ethnicité" des deux femmes.
Afin d'être éligibles pour une reconnaissance de filiation ou une éventuelle adoption selon le droit britannique, la cour rappelle que (notre traduction) :
"En vertu de la loi sur la fertilisation humaine et l'embryologie de 2008, article 54(8), le tribunal ne peut pas accorder une ordonnance parentale aux demandeurs qui en font la demande après une gestation pour autrui (ce que Mme Wilson et Mme Smith ne peuvent pas faire car aucune d’elles n’est génétiquement liée aux enfants), à moins qu’il ne soit convaincu qu’aucune somme d’argent ni aucun autre avantage (autre que pour les frais raisonnablement engagés) n’a été donné ou reçu par l’un des demandeurs dans le cadre des arrangements de gestation pour autrui, sauf si le paiement est autorisé par le tribunal."
La loi britannique encadrant la GPA
La loi britannique encadrant la GPA oblige que l'un des parents commanditaires ait un lien génétique avec l'enfant qui sera issu de l'arrangement de GPA. Il est intéressant de noter ici la discrimination sur la base du sexe qu'implique cette disposition. Ainsi selon la loi britannique, un couple d'hommes âgés peut avoir recours à une GPA puisque les hommes continuent de produire des gamètes à des âges avancés, ce qui n'est évidemment pas le cas pour les femmes. Nous soulignons cette discrimination non pas pour revendiquer que les couples de femmes aient droit à la GPA, (nous pensons que la GPA est contraire à l'ordre public) mais plutôt pour souligner à quel point cette industrie et ces lois sont rédigées et répondent aux désirs des hommes.
En résumé, les deux femmes ne peuvent faire reconnaître une filiation par GPA avec les deux enfants parce qu'aucune d'elles n'est liée génétiquement à ces enfants selon la Human Fertilisation and Embryology Act 2008, s 54(1)(b) and s 54A(1)(b). La seule avenue restante est celle de revendiquer l'adoption de ces deux enfants, ce qui cause problème car elles ont payé $250,000 (Can) pour les obtenir. Payer pour obtenir des enfants contrevient aux lois britanniques sur l'adoption pace que cette pratique se qualifie comme du traffic humain.
Au Canada, une requête en adoption par la conjointe du père de l'enfant qui avait fourni son matériel génétique dans le cadre d'une GPA avait été rejetée en raison de paiements versés à la mère porteuse. Mais cette décision a été renversée en appel par un autre juge qui a refusé de reconnaître le paiement versé comme une rémunération parce qu'il n'était pas stipulé dans le contrat que la mère porteuse serait rémunérée. Sachant qu'un tel contrat serait illégal au Canada, il serait plus qu'étonnant que des protagonistes signent volontairement de telles preuves d'un comportement criminel...
Le fait accompli
Deux césariennes
Les enfants, que nous nommeront Madison et Riley (noms fictifs), sont nés en République turque du Nord de Chypre en 2020. Des césariennes ont été pratiquées sur les deux femmes ukrainiennes le même jour, non pas pour des raisons médicales, mais pour "suivre les directives de la clinique". Les enfants ont été amenés le lendemain chez Mme Wilson et Smith qui avaient loué un appartement à proximité.
Le juge ne s'étend pas sur les problèmes juridiques rencontrés en République turque du Nord de Chypre, mais résume que ces femmes ont été incapables d'enregistrer officiellement les naissances des enfants en République turque, que l'agence les a laissées à elles-mêmes, que l'avocat qu'elles ont pris leur a proposé de falsifier des documents et que l'une d'elles a signé un document dans une langue étrangère qui attestait qu'elle était la mère des deux enfants.
Ce chaos administratif a duré quatre ans. Les deux femmes et les deux enfants ont vécu toute cette période en République turque, occupées à multiplier les recours dans les tribunaux européens pour pouvoir rentrer en Grande-Bretagne avec deux enfants dépourvus de citoyenneté.
La requête en Haute Cour britannique avait pour but d'entendre les demandes en procédure d'adoption pour Madison et Riley par Mme Wilson et Smith, des demandes rappelons-le, qui contreviennent aux lois britanniques.
L'intérêt supérieur de l'enfant
La première question que le juge devait se poser était celle-ci: est-ce que ces enfants sont déjà sous la responsabilité parentale de quelqu'un d'autre? En effet, ne détenant aucun contrat de renonciation de leur filiation de la part des deux mères ukrainiennes, le juge ne peut pas s'assurer de leur consentement à cette adoption. Le juge affirme qu'aucune des personnes contactées ne connaît d'autres informations sur l'identité des mères porteuses que leur prénom (l'agence ayant refusé de coopérer).
En l'absence d'un consentement des mères porteuses, la cour a accordé l'adoption en vertu de : l' "Adoption and Children Act 2002, s 52" qui stipule que si les parents légaux ne peuvent être retracés ou ont disparu, les requérants peuvent être dispensés d'avoir à produire leur consentement en preuve. Il serait effectivement peu probable de pouvoir retracer des mères porteuses en Ukraine, un pays en guerre.
De plus, les enfants ne disposant d'aucun document légal attestant de leur citoyenneté, ni aucune filiation paternelle retraçable, il paraît raisonnable que le juge puisse être préoccupé par le risque d'accorder une autorité parentale à des gens ayant obtenu des enfants par des pratiques de trafic humain selon la définition du Royaume-Uni et des Nations Unies.
Comme c'est toujours le cas dans les requêtes en justice impliquant des GPA n'ayant pas respecté le cadre juridique des États responsables d'établir la filiation, la cour est exposée à des choix intenables. Le juge a invoqué (une fois de plus dans ces requêtes) l'intérêt supérieur des deux enfants pour accueillir favorablement les deux demandes d'adoption. Il a toutefois demandé à ce que son jugement soit rendu publique en émettant l'avertissement suivant: si d'autres cas semblables se présentaient en cour dans le futur, les enfants pourraient être remis aux services sociaux en vue de leur adoption.
L'âge des parents adoptant
Le juge signale avoir été "frappé" par le paragraphe 39 du rapport du tuteur, dans lequel il est dit ce qui suit (notre traduction) :
"Les demanderesses n'avaient pas pris en considération l'impact sur les enfants d'avoir des parents beaucoup plus âgés et toutes les problématiques de santé liées à l'âge qui en découlent."
Cette inquiétude émise par les services sociaux est justifiée. Les données sur les probabilités médicales et l'espérance de vie révèlent que les deux femmes auront vraisemblablement besoin que ces deux enfants prennent soin d'elles (ou qu'ils deviennent orphelins) avant d'atteindre leur majorité. Le rapport insiste sur le fait que les enfants seront pré-adolescents quand la plus âgée aura atteint 80 ans (la deuxième suivant de près derrière).
Le juge s'étonne que deux individus se lançant dans un tel processus n'aient pas pris en compte ces éléments, car selon lui, il est évident qu'il est nécessaire de comprendre l'impact de la différence d'âge sur les enfants. La candeur du juge étonne ici. Ni les États britannique, californien, new-yorkais, canadien ou québécois n'ont inséré des restrictions d'âge pour les clients de GPA dans leur loi encadrant cette pratique.
On ne peut que s'étonner qu'un juge ait pu penser que des clients de GPA, dont certains n'hésitent pas à exploiter des femmes démunies dans des pays en guerre ou à séparer des nouveau-nés de leur mère, renoncent à leur projet à cause des effets de leur âge avancé sur la vie future des enfants qu'ils se procurent.
Cet outil de la National Vital Statistics Reports (Life Tables 2014) publié en 2014 (États-Unis) donne un aperçu des pourcentages de probabilité d'espérance de vie des parents en fonction de leur âge à la naissance des enfants (basé sur les données statistiques de l'espérance de vie).
OUTIL DE CALCUL DE L'ÂGE DU DÉCÈS PROBABLE DU PARENT SELON SON ÂGE À LA NAISSANCE DE L'ENFANT
Sélectionner l'âge du parent à la naissance de l'enfant : Espérance de vie du parent: 77 ans
Âge de l'enfant au moment du décès du parent: 57 ans
% de probabilité que le décès du parent survienne avant que l'enfant n'ait atteint l'âge de ... en fonction de l'âge du parent à la naissance de l'enfant (utiliser le sélecteur ci-haut):
Âge de l'enfant | % de probabilités du décès du parent avant l'âge de: | Âge de l'enfant | % de probabilités du décès du parent avant l'âge de: |
5 ans : | 0.61% | 18 ans : | 2.60% |
10 ans : | 1.30% | 20 ans : | 2.98% |
15 ans : | 2.08% | 25 ans : | 4.17% |
Selon cet outil de calcul, au moins l'une des deux femmes sera décédée avant que les enfants n'aient atteint leur majorité. Il faut aussi tenir en compte de l'état de santé de ces deux femmes qui auront plus de 80 ans quand les enfants entreront dans leur adolescence. Il est vraisemblable qu'elles requièrent des soins pour elles-mêmes et que leurs capacités cognitives aient diminué. Le juge a demandé qu'elles prévoient un plan de prise en charge des enfants advenant une incapacité à les garder.
Des scandales révélés par la crise sanitaire
Dans son jugement, l'Honorable Sir MacFarlane fait référence à un article d'un journal états-unien de 2020, déposé en preuve et faisant état des pratiques questionnables des cliniques de fertilité et agences exerçant en République turque du Nord de Chypre (RTNC). Nous pensons que le juge fait référence à cet article du New York Times intitulé : "Mothers, Babies Stranded in Ukraine Surrogacy Industry" que nous vous invitons à lire.
L'auteure de l'article, Maria Varenikova, rapporte que les agences ukrainiennes de GPA (réputées pour fournir des mères porteuses à des prix compétitifs pour des clients étrangers) a déménagé ses activités vers la RTNC pendant la guerre et la crise sanitaire mondiale de corona virus.
Comme il arrive souvent, une crise (sanitaire, une catastrophe, une guerre ou autres bouleversements) révèle la "face cachée" et les scandales inhérents à ces industries.
Varenikova mentionne que (notre traduction) ;
"Dans le nord de Chypre, les mères ukrainiennes accouchent sans contrat légal de maternité de substitution. Elles renoncent à leur garde après la naissance, ce qui permet aux parents génétiques d'adopter les enfants. Il s'agit d'une procédure juridique qui peut durer plusieurs semaines."
Sachant que ni Mme Wilson, ni Mme Smith n'avaient de lien génétique avec les enfants, on comprend mieux le chaos juridique dans lequel elles se sont empêtrées.
L'article mentionne également que les césariennes sont "obligatoires" pour les mères porteuses, ce qui corrobore les informations du jugement et constitue un scandale en soi, d'autant que selon le témoignage d'une mère porteuse, leur dossier médical n'est pas pris en compte ou même considéré.
Cette dernière témoigne qu'elle a failli mourir parce que les médecins ignoraient qu'elle avait déjà subi une césarienne avant l'intervention. Elle a failli mourir des suites d'une hémorragie et a vu la petite fille à qui elle venait de donner la vie, mourir à côté d'elle, faute de personnel suffisant pour s'occuper de deux urgences en même temps.
Analyse du jugement
Ce jugement a été porté à notre attention par une publication sur X du groupe britannique "Surrogacy Concern" ( @SurrogConcern ) . Il a également été couvert par un article du journal britannique "Independant" intitulé : "Self-centred’ UK couple criticised over foreign surrogacy that left siblings stateless" ( 20 février 2025) qui reprend essentiellement les informations contenues dans le jugement.
Le groupe britannique Surrogacy Concern a publié les commentaires suivants concernant cette cause (notre traduction) :
Nous avons été satisfaites des déclarations du ministère de l'Intérieur pour qui de telles demandes d'adoption pourraient à l'avenir être contestées par le gouvernement dans des circonstances similaires. Nous sommes également satisfaites de savoir que le ministère de l'Intérieur est très préoccupé, pour des raisons d'ordre public, par le fait que le tribunal a été placé dans une position impossible.
Nous avons aussi été encouragées par la déclaration du ministère de la Santé et des Affaires Sociales, incluse dans le jugement : « Le ministère de la Santé et des Affaires Sociales note que la conduite de cette affaire n'était pas conforme aux directives émises par le gouvernement britannique et décourage fortement l'approche adoptée dans cette affaire et déconseille fortement toute personne d'envisager ce type d'action ».
Le groupe recommande au législateur britannique de se joindre à l'Italie et à l'Espagne en criminalisant ses citoyens ayant recours à des GPA dans les pays étrangers.
