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Les contrats de GPA sont-ils exécutoires au Canada ?

Le Québec, par le biais de son article 541, était-elle la seule province à proposer une interprétation juridique adéquate concernant la nullité absolue des contrats de gestation pour autrui ? Certains juristes pensent que oui.


1. Les travaux de Carsley

Stefanie CarsleyStefanie Carsley est professeure agrégée à la faculté de droit de l'université d'Ottawa où elle mène des recherches et enseigne dans les domaines du droit de la famille, du droit de la santé et du droit de la responsabilité civile.  Elle s'intéresse depuis plusieurs années à l'industrie de la fertilité, à la grossesse pour autrui (GPA) et aux techniques de reproduction assistée.   Sa thèse doctorale  (Université McGill - 2020) portait sur l'expérience d'avocats canadiens ayant rédigé des contrats dans le cadre de GPA.

Les témoignages des juristes ayant collaboré à sa thèse révèlent une divergence d'opinions sur la force  éxécutoire (ou non éxécutoire) des contrats de GPA.  

 

Contexte:

 

Les "contrats" de GPA (appelés "conventions notariées" au Québec) englobent un ensemble de clauses.  La "clause" principale étant le renoncement du droit de filiation de la mère au bénéfice de l'autre partie contractuelle. Cette disposition est régulée par le droit de la famille (code civil au Québec et le Common Law dans les autres provinces).  Les parties prenantes du contrat sont, d'une part,  la mère porteuse et d'autre part, le ou les parents d'intention. 

 

Le ou les "parents d'intention" peuvent être composés d'un nombre variable d'individus, en fonction des provinces.  Il peut s'agir d'un homme seul, d'une femme seule, d'un couple d'hommes, d'un couple de femmes ou d'un couple hétérosexuel.  Dans certaines juridictions provinciales, les "parents d'intention"  peuvent être composés d'un groupe de trois ou quatre individus (quatre pour l'Ontario et jusqu'à trois pour Terre-Neuve-et-Labrador, Colombie-Britannique, Saskatchewan).  

 

Les clauses des contrats se répartissent selon plusieurs catégories.  Parmi ces clauses, on y trouve;

 

  • le renoncement de la filiation maternelle au bénéfice des parties prenantes,

  • des clauses "comportementales", 

  • des clauses de renoncement de la mère porteuse à certains de ses droits fondamentaux,

  • des clauses d"exigences"  d'interventions médicales spécifiques de la part des clients, 

  • des clauses concernant les modalités de "remboursement" des dépenses admissibles.
 

Mises à part les clauses concernant le renoncement à sa filiation et celle concernant les modalités de remboursement, les juristes canadiens ne s'entendent pas sur la force exécutoire des exigences qui entourent ce que le code civil français appelle "l'indisponibilité du corps" (à ce propos, voir les litiges des contrats canadiens sur notre site).  [1]

 

Ces principes humanistes ne sont pas partagés par toutes les femmes.  Ainsi une mère porteuse dont le témoignage est rapporté dans la thèse de Carsley, estime qu'il est  acceptable pour une femme de pouvoir "vendre des morceaux de son corps". Elle perçoit cette éventualité comme une façon d'affirmer sa liberté :

 

“Women and men should be able to regulate their own bodies and if they want to sell their parts of their bodies, what’s wrong with that? I think a lot of Canadians wouldn’t have a problem with that at all.”/ Les femmes et les hommes devraient être en mesure de réguler leur propre corps et s'ils veulent vendre des parties de leur corps, qu'y a-t-il de mal à cela ? Je pense que beaucoup de Canadiens n'y verraient aucun inconvénient. [2]

 

Voici quelques exemples qui illustrent les difficultés juridiques faisant obstacle à la nautre exécutoire d'un contrat de GPA :

 

  • Quels leviers juridiques peuvent être invoqués pour obliger une citoyenne (fût-elle "mère porteuse")  à se conformer à un régime alimentaire contre son gré ?

 

 

  • Quels seraient les recours légaux de parents-clients qui permettraient d'obliger une mère porteuse à s'abstenir de fumer ou de boire de l'alcool ?  Concrètement : comment peuvent-ils contraindre une mère porteuse à se conformer à une clause contractuelle d'abstinence ?  Si des parents-clients peuvent contraindre une femme porteuse dans le cadre d'une convention altruiste au Canada, quel mécanisme pourrait empêcher le compagnon ou le mari d'une femme d'exiger  une contrainte semblable à la mère de son enfant ?  Après tout, si des étrangers peuvent l'exiger sur la mère, pourquoi pas le père de l'enfant ?

  • Comment un parent-client peut-il obliger une mère porteuse à prendre (ou ne pas prendre) un médicament spécifique, même si une clause d'un contrat l'y oblige ?

  • Quels recours aura-il si la mère porteuse s'oppose à une réduction embryonnaire ou refuse d'accoucher par césarienne ?

  • Un tribunal canadien peut-il obliger une femme à de se soumettre à un Xème transfert d'embryons si cette exigence est prévue dans une clause du contrat ?

 

Il est raisonnable de croire que seule une pression monétaire peut exercer un tel pouvoir de contrainte.  Or il appert que les femmes canadiennes font des GPA sur une base altruiste. Dans ce cas, comment des "parents d'intention" peuvent-ils faire respecter les clauses d'un contrat ? Et s'ils ne le peuvent pas, pourquoi les rédiger ?

 

Clauses punitives et bris de contrats

 

Comment un tribunal peut-il imposer des sanctions  à une femme altruiste (c'est-à-dire sans bénéfice pour elle-même) si cette dernière refuse de subir une réduction embryonnaire prévue dans le contrat de GPA ? On conçoit mal un juge ordonner à une mère porteuse de rembourser ses notes de frais, sachant que les dépenses éligibles sont encadrées par un règlement, et que ces frais ont été engagés non pour elle-même, mais pour autrui, et qu'aucune grossesse ne garantit une naissance.  

 

Selon certains juristes, les "bris de contrats" ne peuvent être reconnus que si le comportement d'une femme a des répercussions sur la santé de l'enfant à naître. Cette position semble contredite par le jugement de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, une décision qui a fait jurisprudence sur la question de l'avortement au Canada.  L'opinion juridique n'est pas soutenue par la jurisprudence.  En effet, dans l'affaire Winnipeg Child and Family Services (1997 - Northwest Area) v. G (D.F.) par. 46,  la Cour suprême du Canada a refusé d'accorder une injonction exigeant d'une femme enceinte qu'elle mette fin à sa toxicomanie, qui risquait de nuire à son enfant à naître (la femme autochtone respirait de la colle). La Cour a estimé que la soumettre à une détention et à un traitement involontaire constituerait une violation de ses libertés fondamentales, qui incluent sa capacité à faire des choix de vie. 

 

Il appert de plus en plus clairement que le "respect" des contrats de GPA dans les États droits s'explique par la convergence des intérêts des deux parties prenantes au moment de la signature du contrat.  En effet, on peut raisonnablement  penser qu'à partir  du moment où les parties tirent chacune des bénéfices à contourner l'article 6 (1) [3] de la loi canadienne sur la procréation assistée, elles ont aussi intérêt à s'abstenir de l'arbitrage des tribunaux.  Comme le chantait l'auteur-compositeur Dylan : "But to live outside the law, you must be honest".[4] 

 

Ainsi, il est logique de penser que chacune des parties tentera de s'accomoder de l'arrangement initial pour éviter des poursuites pénales susceptibles de révéler  des rémunérations interdites puisqu'il est peu probable qu''un levier jurdique forcerait le respect des clauses des contrats (mis à part les clauses concernant le remboursement des dépenses et l'abandon de la filiation maternelle au profit des clients). Seule une convergence d'intérêts peut contraindre les parties prenantes. 

Dans ce contexte, des pressions monétaires et des menaces d'avoir à les rembourser apparaissent comme les seuls leviers efficaces pour contraindre une mère porteuse à respecter les clauses d'un contrat. 

 

Il est ainsi vraisemblable de conclure que les pressions monétaires constituent la motivation principale des mères porteuses à accepter l'aliénation de leur liberté

 

Le fait que les paliers de gouvernements n'ont pas prévu de mécanismes de vérification du respect des articles interdisant la rémunération contribue  aussi à la viabillité de ce système en marge du droit canadien. 

 

À ce jour, une seule poursuite judiciaire a été  intentée depuis la mise en oeuvre de la loi en 2004,  ce qui, d'un point de vue statisque, apparaît  comme une anomalie. [5]


[1] Carsley note (à propos des législateurs des différentes provinces canadiennes) : " They might not have contemplated that these contracts contain a wide variety of clauses that go beyond simply setting out the child’s parentage " CARSLEY « Surrogacy in Canada: Lawyers’ Experiences and Practices», (2022) 34:1 Canadian Journal of Women and the Law 41. p. 223
[2] Ibid p. 234
[3] Rétribution de la mère porteuse
6 (1) Il est interdit de rétribuer une personne de sexe féminin pour qu’elle agisse à titre de mère porteuse, d’offrir de verser la rétribution ou de faire de la publicité pour le versement d’une telle rétribution.
[4]   DYLAN, Bob, "Absolutely Sweet Marie" - 1966
[5] Leia Picard, la seule dirigeante de Canadian Fertility Consulting Ltd., a admis avoir violé les articles 6 et 7 de la Loi sur la procréation assistée et a été condamnée à une amende de 60 000 $. Voir : R. c. Picard and Canadian Fertility Consulting Ltd.
 
Commentaires (traduits) des avocats consultés par Mme Carsley dans sa thèse doctorale :
"...certains juristes pensaient que ces contrats - ou du moins certaines parties de ces accords - seraient judiciairement exécutoires dans le cas où l'une des parties violerait les termes de ces contrats. La plupart des juristes ont toutefois souligné que l'objectif principal de ces accords n'est pas de résoudre les litiges, mais plutôt de les prévenir." p. 169
"Cependant, les récits des avocats indiquent qu'il pourrait être souhaitable de réglementer davantage le contenu des contrats de maternité de substitution afin de s'assurer que ces contrats n'induisent pas en erreur les mères porteuses et les parents d'intention. Une solution pourrait consister à créer un contrat type dans chaque province . Ces formulaires pourraient être conçus de manière à ne contenir que des dispositions susceptibles d'avoir une valeur juridique en cas de litige entre une mère porteuse et les parents d'intention. En d'autres termes, ces accords pourraient être limités aux termes relatifs à la filiation et aux dépenses remboursables." p. 178
Victoria (nom fictif d'une avocate consultée) a également noté que le fait de déclarer que les contrats sont explicitement non-exécutoires est « problématique » et « met les parents d'intention dans une position très incertaine » parce que la mère porteuse « sait dès le départ que le contrat de maternité de substitution est non-éxécutoire ». p. 301

 

 

Voici quelques témoignages (traduits) d'avocats extraits de la thèse doctorale de Mme Carsley

 

"Cependant, les récits des avocats indiquent qu'il pourrait être souhaitable de réglementer davantage le contenu des contrats de maternité de substitution afin de s'assurer que ces contrats n'induisent pas en erreur les mères porteuses et les parents d'intention. Une solution pourrait consister à créer un contrat type dans chaque province . Ces formulaires pourraient être conçus de manière à ne contenir que des dispositions susceptibles d'avoir une valeur juridique en cas de litige entre une mère porteuse et les parents d'intention. En d'autres termes, ces accords pourraient être limités aux termes relatifs à la filiation et aux dépenses remboursables."

- p. 178

 

 ""...certains juristes pensaient que ces contrats - ou du moins certaines parties de ces accords - seraient judiciairement exécutoires dans le cas où l'une des parties violerait les termes de ces contrats. La plupart des juristes ont toutefois souligné que l'objectif principal de ces accords n'est pas de résoudre les litiges, mais plutôt de les prévenir." 

-p. 169

 

"Victoria a également noté que le fait de déclarer que les contrats sont explicitement non-exécutoires est « problématique » et « met les parents d'intention dans une position très incertaine » parce que la mère porteuse « sait dès le départ que le contrat de maternité de substitution est non-éxécutoire ».

- Victoria (nom fictif d'une avocate consultée) p. 301

Ubaka Ogbogu2. L'avis du professeur de droit Ubaka Ogbogu

Le professeur en droit de l'université de l'Alberta, Ubaka Ogbogu, est catégorique sur la nature non-exécutoire des contrats de GPA.  Dans un article où il est cité par la journaliste-pigiste Alison Motluk [1], il affirme que : 

 

"Anyone who knows the basics of contract law, says Ubaka Ogbogu, a health law professor at the University of Alberta in Edmonton, knows that in order for a contract to be binding, something called “consideration” must change hands. Typically, that is money." / "Selon Ubaka Ogbogu, professeur de droit de la santé à l'université de l'Alberta à Edmonton, quiconque connaît les bases du droit des contrats sait que pour qu'un contrat soit contraignant, il faut qu'un élément appelé « contrepartie » change de mains. En général, il s'agit d'argent."

 

Il est possible que l'argument du professeur Ogbogu, fondé sur la définition des contrats canadiens, soit valide juridiquement, mais il faut tout de même garder à l'esprit que le professeur Ogbogu a émis subséquemment à cet article, sa position en faveur de la commercialisation de la GPA dans le "Health Law of Canada Journal" en 2019 [2].  Or, dans cette publication, il s'avance à définir la GPA comme un "travail" qu'il compare à la prostitution ("travail du sexe").  Ce raisonnement montre à quel point l'expression "travail du sexe" est un euphémisme éthiquement dangereux et qu'il peut être utilisé par des juristes pour justifier  la "disponibilité du corps" et l'exploitation des fonctions reproductives et sexuelles des femmes.

3. Royaume-Uni 

 

Au Royaume-Uni, comme au Canada, les arrangements de maternité de substitution sont autorisés sous certaines conditions.  L'une d'entre elles est l'interdiction de toute rémunération à la femme qui s'engage à faire une grossesse pour autrui.  C'est la "Surrogacy Arrangements Act 1985" qui encadre cette pratique. 

 

En 1990 cette loi a été amendée par la " Human Fertilisation and Embryology Act 1990 (c. 37, SIF 83:1)s. 36(1)" qui détermine que les contrats de maternité de substition ne sont pas contraignants (ou exécutoires).

 

Surrogacy arrangements unenforceable.

No surrogacy arrangement is enforceable by or against any of the persons making it.

 

Ainsi, le législateur québécois a introduit l'article 541 (frappant de nullité absolue les contrats de GPA) dans son code civil  la même année que l'amendement de la loi britannique - soit en 1990.  Il est raisonnable de penser que les législateurs québécois de l'époque se sont inspirés de la loi britannique et ont réalisé bien avant les autres provinces canadiennes et le gouvernement fédéral, qu'on ne pouvait contraindre des êtres humains à des interventions médicales, des régimes alimentaires ou des comportements, contre leur gré.  

 

Ces contrats ne peuvent être à la fois contraignants et respecter les droits humains inhérents aux États de droits.  En attendant que des litiges soient soumis au jugement de la cour Suprême du Canada, il y a fort à parier que l'industrie va continuer à demeurer silencieuse sur ce sujet tout en laissant croire aux clients-parents et aux mères porteuses qu'ils sont liés par l'ensenble des clauses des contrats.


[1] MOTLUK, A. , "Anatomy of a Surrogacy" ,Hazlitt , (November 6, 2017)
[2] OGBOGU, Ubaka, Missing Concerns and Considerations in the Law and Policy Discourse on Paid Surrogacy and Oocyte Donation (May 14, 2019). Health Law in Canada Journal (HLCJ), 2019