
Les dossiers médicaux
Les techniques de reproduction assistée dans le cadre des grossesses pour autrui permettent aux parents bénéficiaires de sélectionner des ovocytes de pourvoyeuses en fonction de critères d'apparence physique (taille, origine ethnique, couleur des yeux, etc). Les agences intermédiaires fournissent aussi aux parents bénéficiaires un dossier complet de l'historique médical familial et individuel de la pourvoyeuse d'ovocytes et de la mère porteuse.
Mais ces divulgations d'information, tenues communément pour confidentielles, n'ont pas de réciprocité dans les conventions de GPA. Les agences intermédiaires de GPA (grossesse pour autrui) ne fournissent pas aux mères porteuses l'historique familial médical du géniteur (souvent le père bénéficiaire) ni le dossier médical de la mère bénéficiaire si cette dernière a fourni ses propres ovocytes. D'autre part, si les ovocytes ont été achetés à une tierce partie, les informations médicales seront communiquées aux parents bénéficiaires, mais pas à la mère porteuse.

L'influence des contributions génétiques dans la formation du placenta
Des recherches [1] sur les mammifères suggèrent que les gènes paternels peuvent influencer la formation du placenta et le bon déroulement de la gestation. Même si ces données proviennent surtout d’études animales, elles rappellent que l’héritage paternel ne se limite pas à la génétique, mais touche aussi la physiologie de la gestation. Ces recherches suggèrent que ces gènes exercent une influence sur la formation et la fonction du placenta chez les mammifères.
Chez l’être humain, chaque gène s’exprime normalement à partir de ses deux copies : l’une héritée de la mère et l’autre du père. Mais un phénomène biologique particulier nommé l’empreinte génomique intervient dans le processus de gestation. Certains gènes n'activent que l’une de ses deux copies, soit celle héritée du père ou de la mère. L'’autre copie est "désactivée". Nous savons que ce contrôle précoce joue un rôle important dans la croissance du fœtus et la formation du placenta.
[1] Wang X, Miller DC, Harman R, Antczak DF, Clark AG. Paternally expressed genes predominate in the placenta. Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS). 2013 Jun 25;110(26):10705-10710. DOI : 10.1073/pnas.1308998110.

Le placenta de la mère porteuse
Le placenta est un organe mixte, formé à la fois par la mère et par le fœtus. Il relie leurs deux systèmes sanguins sans jamais les mélanger, et sert aux échanges d'oxygène et de nutriments.
Dans le cadre d'une GPA, la formation de la "portion maternelle" du placenta provient de la muqueuse utérine (l’endomètre) de la mère porteuse. Cette portion contient et exprime exclusivement ses gènes.
Dans toutes les grossesses, la portion fœtale du placenta se développe à partir des cellules de l’embryon. Ceux-ci sont issus de la fusion de l’ovocyte et du spermatozoïde — donc d’une combinaison des génomes de la pourvoyeuse d'ovocytes et du pourvoyeur de sperme.
Ce qui distingue une GPA "génétique" (où l'embryon est formé à partir des ovocytes d'une pourvoyeuse) d'une grossesse naturelle, est la présence d'un matériel génétique maternel "étranger" dans la formation du placenta foetal. Dans une grossesse naturelle, le placenta fœtal contient le génome maternel (le génome de celle qui porte l'enfant) et celui du père. Dans une GPA gestationnelle, le placenta fœtal contient le génome de la pourvoyeuse d’ovocyte et du pourvoyeur de spermatozoÏdes, mais pas celui de la mère porteuse.
Il est communément admis que ces deux contributeurs génétiques influenceront le comportement et le bon fonctionnement du placenta.

Le gène paternel
Les études sur les mammifères ont observé que ce sont principalement les gènes paternels qui s’expriment (qui sont actifs) dans la formation du placenta foetal— un phénomène appelé empreinte génomique.
Chez l’humain l'empreinte génomique existe aussi, mais semble moins étendue : Pilvar et al. ont observé que, parmi 91 gènes exprimés dans le tissu placentaire d’origine fœtale, seuls 11 présentent une empreinte génomique parentale clairement identifiée, (origine maternelle ou paternelle). Cette observation distinguerait la grossesse humaine du processus biologique de gestation des mammifères où on observerait un taux plus élevé.
Plusieurs de ces gènes sont connus pour être exprimés à partir de l’allèle paternel, illustrant ainsi le rôle actif des gènes hérités du père dans la régulation du placenta et de la croissance fœtale. Toutefois, l’étude ne quantifie pas directement l’importance de la contribution de chacune de ces empreintes pour le déroulement de la gestation.
D'autre part, des chercheurs pensent aujourd’hui [2] que l’état de santé et l’environnement du père avant la conception peuvent aussi laisser des traces épigénétiques dans le sperme, qui influenceraient le développement du placenta et le déroulement de la grossesse, même sans modification directe des gènes.
[2] Bhadsavle, S. S., & Golding, M. C. (2022). Paternal epigenetic influences on placental health and their impacts on offspring development and disease. Frontiers in Genetics, 13, 1068408. https://doi.org/10.3389/fgene.2022.1068408

Quelles conséquences pour les mères porteuses?
Les conclusions amenées par ces recherches interpellent sur d'éventuelles répercussions négatives dans le déroulement des grossesses des mères porteuses.
Elles indiquent que les données concernant l'historique médical familial et individuel des contributeurs génétiques (en général le père bénéficiaire et la pourvoyeuse d'ovocytes) est important à connaître afin que la mère porteuse qui s'engage dans une convention de GPA puisse exercer des choix éclairés concernant les risques qu'elle s'apprête à prendre, notamment ceux associés au développement et à la formation du placenta. En effet il semble maintenant raisonnable de penser que la contribution génétique paternelle influe aussi sur le déroulement physiologique de la grossesse, et qu'elle semble s’exprimer aussi et surtout via l’état épigénétique préconceptionnel du sperme.
Les terribles tragédies vécues subséquemment par deux mères porteuses mises sous contrat par une riche investisseure de la Silicone Valley alertent particulièrement sur l'urgence et l'importance d'obtenir le dossier médical des fournisseurs de matériel génétique et de leurs antécédents familiaux. Ces deux mères porteuses ont frôlé la mort en donnant naissance pour des problèmes associés au comportement du placenta. Or, elles avaient toutes les deux été "engrossées"(et non fécondées puisqu'il ne s'agissait pas de leurs ovocytes) avec le même matériel génétique.
