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NOUVELLES EXPRESS

 

Le gouvernement québécois a annoncé qu'à compter du 06 juin 2024 les tribunaux ne reconnaîtront plus systématiquement les filiations des enfants issus de GPA dont la mère porteuse habite hors Canada.  Seules les GPA  réalisées dans les États désignés suivants seront reconnus au Québec:

l’Alberta, la Colombie-Britannique, l’Île-du-Prince-Édouard, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario et la Saskatchewan.

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Testez vos connaissances sur la GPA

 

Vérifiez l'état de vos connaissances sur la loi québécoise et la grossesse pour autrui avec ce quiz

Connaissez-vous bien les dispositions des lois québécoises et canadiennes sur la procréation pour autrui ?  Quelles sont les protections prévues par les législateurs pour les mères porteuses, les pourvoyeuses d'ovocytes et les enfants à naître de cette pratique ?

 

Quels sont les effets des recours aux techniques de procréation assistée sur les grossesses ?  Quelles sont les protections prévues en cas de perte de fertilité ou toute autres conséquences suite à ces grossesses ?  Comment le législateur a-t-il prévu de protéger le droit aux origines des enfants ?

 

Toutes ces questions et bien d'autres sont adressées dans ce jeu questionnaire !


 

Une loi votée en l'absence de données probantes

 

 

Depuis 2023, le législateur du Québec valide la légalité des contrats établis autour des capacités reproductives des femmes ainsi que les arrangements visant à céder l'enfant qui sera issu de cette pratique, aux parties contractantes.

 

En 2021, le  Ministre de la justice du Québec répondait à un journaliste qui lui demandait de commenter les résultats d'un sondage pour la Chambre des notaires qui présentait le recours à des GPA comme un moyen socialement admis d'accéder à la parentalité (en omettant de mentionner les raisons pour lesquelles le code civil québécois n'en reconnaissait pas la pratique).

Le ministre justifiait la décision du gouvernement d'encadrer le recours à des mères porteuses et la GPA "parce que ça existe" :

 

« Les gens sont conscients que la gestation pour autrui, ça existe au Québec. Puisque ça existe, il faut mettre en place des mécanismes pour protéger à la fois les enfants, mais également les mères porteuses ».

- Ministre de la justice Jolin-Barrette

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) a soutenu cette initiative du gouvernement et n'avait d'autres arguments à apporter que...la pratique existe, encadrons là, en dépit du fait qu'elle s'était opposé à contractualisation des fonctions procréatives des femmes des années auparavant (notre emphase):

 

Ensuite, la Commission ne peut passer sous silence la proposition d’introduire un cadre légal de la gestation pour autrui dans le Code civil. Tant des experts du milieu juridique que des sciences sociales militent en faveur d’un encadrement législatif dans le contexte où cette forme de procréation assistée se pratique déjà au Québec. Ainsi, disposer de règles claires contribuerait à s’assurer que tout projet parental impliquant la gestation par une tierce personne se réalise dans le respect des droits de l’enfant et de son intérêt ainsi que des droits de la femme ou personne qui accepte de donner naissance à l’enfant.

 

Il est particulièrement outrageant que la CDPDJ réfère à des "experts du milieu juridique et des sciences sociales" tout en ignorant les groupes militants pour les droits des femmes qui se préoccuppent de cette marchandisation de leurs capacités reproductives.  Encore plus outrageant le fait de suggérer que des "personnes" autres que des femmes accepteraient de donner naissance à l'enfant, oblitérant consciemment  que la seule catégorie sexuelle dont les capacités reproductives sont exploitées sont les femmes.  La particularité et les capacités de leur système reproductif sont essentiellement ce qui les distinguent des mâles de l'espèce humaine.

 

Pour justifier son changement de position, la CDPDJ écrit;

 

"La Commission, qui avait en 1991 émis des réserves (sic) sur la reconnaissance de cette pratique dans le Code civil, souscrit à ce postulat considérant les avancées réalisées en la matière du point de vue médical et les développements judiciaires."

 

Ainsi, pour la CDPDJ, les avancées technologiques justifient la GPA .  Les moyens justifient la fin.

 

En juin 2023, le gouvernement québécois retirait l'article 541 de son code civil, un article qui agissait comme frein à la pratique, et ouvrait ainsi l'accès aux mères porteuses québécoises à l'industrie de la GPA. 

 

L'absence de données

 

"Sans donnée, on est juste une autre personne avec une opinion"

- E. Deming

La législation québécoise a été adoptée à l'unanimité en l'absence partielle ou complète de réponses aux questions suivantes:

 

  • Combien de mères porteuses québécoises sont décédées dans le cadre d'une grossesse pour autrui au Québec?
  • Combien de mères porteuses ont perdu leur utérus ou leur fertilité dans le cadre d'une grossesse pour autrui?
  • Combien de mères porteuses ont dû porter des grossesses gémellaires (qui sont des grossesses à risques)?
  • Combien d'enfants issus de GPA sont nés prématurément?
  • Quel  pourcentage de mères porteuses ont été contraintes d'accoucher par césarienne?
  • Quel est le profil socio-économique des mères porteuses québécoises?
  • Quel sera le poids économique et quelle pression cette pratique exercera-t-elle sur le système de santé québécois?
  • Comment faire pour que les clauses de confidentialité dans les contrats de GPA n'empêchent pas les mères porteuses de partager leur expérience si elle a été négative?
  • Combien de mères porteuses québécoises sont monoparentales et s'engagent dans une GPA pour demeurer à la maison auprès de leurs propres enfants ?
  • Quel est le taux d'échec des FIV ?  Combien de mères porteuses ont fait des fausses-couches suite à des FIV ?  Le fait d'utiliser un ovocyte étranger au corps de la mère augmente-t-il ces risques?
  • Combien de clients ne souffrent d'aucune infertilité médicale?
  • Combien de clients sont célibataires?  Quelles recherches soutiennent qu'il est dans l'intérêt d'un enfant d'organiser sa naissance avec un seul parent ?
  • Combien de mères porteuses québécoises portent des enfants pour des clients étrangers ? 
  • Combien de recherches le gouvernement québécois subventionne-t-il pour aider à favoriser la fertilité?
  • Quelles seront les sanctions si l'un des parties de la convention n'ont pas rencontré les conditions générales ?
  • Que faire si les clients demandent de faire une réduction embryonnaire?

 

La section suivante informe sur les dispositions de la loi québécoise sanctionnée en 2023.

 

Le droit québécois et la GPA

 

 

La principale conséquence de la loi québécoise d'encadrement de la GPA a été l'abolition de l'article 541 de son code civil.  Cet article qui avait été introduit en 1994 édictait que les contrats de mères porteuses étaient de nullité absolue, peu importe les circonstances et les volontés des personnes en cause. 

L'article 541 agissait comme frein au Québec au développement de l'industrie de la GPA

L'article 541 était cité par les "Avocats des solutions" comme l'illustration de contrats contraires à l'ordre public  puisqu'il s'agit de contrats établis sur le corps des femmes, qu'ils soient établis dans le cadre d'une approche altruiste ou non. Le principe de "dignité humaine" est incompatible à ce qu’une personne soit chosifiée.  La GPA a recours aux fonctions reproductives de la mère-porteuse en tant que "moyen" pour satisfaire les désirs de personnes avantagées économiquement. La GPA fait d'un enfant à naître, l'objet d'un contrat.  L'article 541 a été aboli sans justification des raisons pour lesquelles ces contrats seraient soudainement devenus conformes au principe d'ordre public.

 

L'article 541 agissait efficacement comme "frein" à la croissance de cette industrie au Québec.  Seules 2.8% des Fécondations In Vitro pour des GPA ont été recensées dans les cliniques québécoises selon le registre pancanadien sur la procréation assistée qui compile des données sur les femmes ayant subi des transferts d’embryons issus de cycles de FIV dans les cliniques de procréation assistée de l’ensemble du Canada. Ce registre constitue la principale source valide sur les GPA,  mais il s’agit d’une source parcellaire puisque le recensement est volontaire et organisé par les cliniques privées de fertilité.

 

Six centres de procréation assistée sur neuf offrant des interventions de FIV ont transmis des renseignements au cours des dernières années. Les données de ce registre, obtenues par le Conseil du statut de la femme révèlent qu’entre 2013 et 2020, 146 cycles de FIV (transferts d’embryons) ont été pratiquées au Québec sur des mères porteuses.  À titre de comparaison et pour la même période, le Canada en avait pratiqué 5148 dont les 2/3 en Ontario et en Colombie-Britannique. Nous pensons que cet écart significatif s’explique par l’effet dissuasif de l’article 541 du code civil du Québec qui agissait comme frein et outil de réduction des méfaits.

 

L'article 541.15 du code civil du Québec prévoit que le consentement de la mère porteuse à révoquer son lien maternel doit être donné au plus tard 30 jours à compter de la naissance de l’enfant, mais pas avant que 7 jours ne se soient écoulés depuis sa naissance.

Si la mère porteuse ne révoque pas sa filiation maternelle, elle demeurera la mère de l'enfant mais devra partager la parentalité avec l'homme seul ou le partenaire du projet parental qui a fourni son matériel génétique (article 541.17 p. 13 Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation ).  Les clientes (seules ou en couple) n'ayant pas fourni leurs ovocytes dans le cadre du projet parental n'auraient aucun recours de parentalité dans une telle situation selon toute vraisemblance dans l'état actuel du droit (au  même titre qu'une tierce partie ayant fourni son matériel génétique, étranger au projet parental).

Si la mère porteuse ne révoque pas son consentement, son lien de filiation sera "réputé n'avoir jamais existé".  Il s'agit là d'une falsification de la biographie d'un enfant, de l'histoire de ses origines.  Pour la mère porteuse, c'est l'effacement de son existence.  Les informations concernant son identité ne seront pas portées au certificat de naissance de l’enfant, elles seront consignées dans un registre distinct auquel l'enfant issu de cette pratique pourrait avoir accès à l’âge de 14 ans à condition que les parents prospectifs l’informent des circonstances de sa naissance. Si sa mère porteuse a disparu, si elle est décédée ou ne souhaite pas être contactée, l’enfant devra s’en accommoder.

Afin de s'inscrire dans une État de droit, la GPA doit bâtir sur le mensonge.

 

Pour un enfant né de GPA au Québec ce lien est réputé n'avoir jamais existé

Qu'est-ce que le législateur a prévu pour compenser une mère porteuse ou ses dépendants qui perdrait son utérus ou même sa vie dans le processus d'une GPA?

La réponse courte est RIEN.

Bien qu'alerté sur les risques supplémentaires des grossesses pour autrui (comparés à des grossesses spontanées), le Ministre de la justice québécois M. Jolin-Barrette a choisi sciemment de ne pas obliger les clients à prendre des assurances pour compenser la mère porteuse altruiste pour les risques qu'elle prend avec sa propre fertilité en invoquant les coûts associés à cette protection.  Cette option de favoriser les clients dans ces ententes est contraire aux objectifs proclamés d'encadrement : "Elle [la loi] reconnaît la grossesse pour autrui et l’encadre afin de protéger les intérêts de l’enfant et de protéger les mères porteuses dans le cadre d’une telle grossesse" (Notes explicatives PL12, p.2)

 

 

 

 

L'article 13 du Règlement relatif aux projets parentaux impliquant une grossesse pour autrui dans le cadre desquels les parties à la convention sont domiciliées au Québec stipule que la mère porteuse :

 

1°  comprend les risques associés à une grossesse;

2°  sait que la personne seule ou les conjoints ayant formé le projet parental ne sont pas responsables de ces risques;

 

Les mères porteuses du Québec doivent être informées que le premier item de l'article 13 dissimule une "demi-vérité".  La mère porteuse doit non seulement "comprendre" les risques associés à une grossesse, mais elle doit surtout comprendre les risques associés aux grossesses issues de Fécondations In Vitro (FIV).  Elle doit comprendre aussi que les risques associés à une FIV sont augmentés davantage quand l'ovocyte utilisé pour la FIV est étranger au corps de la mère porteuse.  Les mères porteuses doivent surtout être conscientes que ces risques se cumulent.

L'agence "Men Having Babies" a publié un "guide" pour planifier le budget des hommes (en couple ou seuls) qui souhaitent recourir à des mères porteuses.  Dans ce guide, des coûts sont associés aux diverses interventions pouvant survenir dans une grossesse pour autrui.  La compensation (ou les frais médicaux) pour la perte de son utérus dans le cadre d'une grossesse pour autrui est estimée à ...$5000.

Les mères porteuses sont souvent monoparentales.  Si elles décèdent dans le processus d'une GPA leurs enfants n'auront aucune protection si les clients n'ont pris aucune assurance-vie pour elles.

 

Remboursement de "l'investissement"

Sur les sites de discussions entre les parents prospectifs et les mères porteuses, on voit apparaître des stratégies de "remboursement des investissements" des parents prospectifs par le biais d'assurances-vie ou assurances-invalidité. 

 

Ainsi des parents prospectifs se font ajouter parmi les "bénéficiaires" des assurances contractées sur la vie des mères porteuses pour récupérer leurs "investissements" en cas de décès.

 

D'un point de vue législatif, on observe un "détournement" de l'objectif du législateur qui accorde ce remboursement de frais d'assurances contractés par les mères porteuses sur le principe d'une dépense qu'elle peut engager pour se protéger et protéger sa famille des conséquences possibles d'une grossesse pour autrui (décès, perte d'utérus, invalidité, ect).

 

Il paraît peu probable que cet usage de l'assurance en tant que protection d'investissement pour les clients puisse se qualifier comme un "frais remboursable de la mère porteuse" quand l'Énoncé de politique stipule que :

  • Le remboursement ne doit ni entraîner de gain financier pour les parties concernées ni constituer une forme déguisée de paiement ou d'achat.

Les dépenses d'une mère porteuse pour assurer le remboursement de frais du couple prospectif qui obtiendra l'enfant n'est pas une dépense occasionnée par sa grossesse.

 

 

Le Ministre de la justice québécois a proclamé à maintes reprises quand il faisait la promotion de sa loi que "les parents d'intention qui changeraient d'idée en cours de route ne peuvent pas abandonner l'enfant."  Il s'agit encore une fois d'une demi-vérité.

Les parents prospectifs ont les mêmes droits et sont tenus aux mêmes obligations que les autres parents québécois.  S'ils ne souhaitent pas ou ne peuvent pas assumer leurs responsabilités parentales, personne ne peut les y forcer.  L'enfant sera confié à la Direction de la Protection de la Jeunesse (DPJ) qui s'occupera de trouver des parents d'adoption.  Les parents prospectifs seront responsables des frais associés à la procédure et à la subsistance en attendant que l'enfant soit adopté (s'ils ne sont pas disparus).  

 

Les mères porteuses doivent savoir qu'en pareille situation, elles auront la responsabilité de contacter la DPJ ( p. 635, Article 13, alinéa 4 du Règlement relatif aux projets parentaux impliquant une grossesse pour autrui dans le cadre desquels les parties à la convention sont domiciliées au Québec) :

 

"4° elle s’engage, dans le cas du décès ou de l’impossibilité d’agir de la personne seule ou des conjoints ayant formé le projet parental, à s’assurer que le directeur de la protection de la jeunesse en soit informé afin que l’enfant puisse lui être confié, conformément à l’article 541.14 du Code civil."

 

Dans son mémoire de doctorat, le chercheur Kévin Lavoie1, rapporte le témoignage d'une mère porteuse confrontée à cette situation :

 

"Karen a appris au moment de l’accouchement, lors de sa toute première GPA pour un couple européen, que les parents n’avaient pas l’intention de venir chercher l’enfant. N’ayant jamais eu le désir de le garder, elle s’est alors résolue à confier l’enfant à un couple en vue d’une adoption.

 

Outre les bouleversements émotionnels qu’un tel dénouement inattendu provoque, le caractère exceptionnel de la situation a alerté les services fédéraux; une enquête policière pour trafic humain a été menée, causant un stress énorme pour Karen et sa famille."

 

Le gouvernement québécois n’a posé aucune restriction à l'industrie concernant le recrutement de mères porteuses ou des pouvoyeuses d'ovocytes dans les universités, les collèges, les institutions d’apprentissage et les réseaux sociaux. 

 

Les jeunes femmes qui fréquentent ces établissements sont particulièrement ciblées par les agences dans certains pays dont les États-Unis.

Au Canada, depuis le jugement de la cour suprême (arrêt Daigle c. Tremblay - 1989) l'avortement est permis parce que le foetus n'est pas considéré comme une "personne", au sens juridique.  

 

Mais la pratique  de la GPA tente de restreindre cet accès libre et gratuit en invoquant que la mère porteuse est liée par un contrat à mener sa grossesse à terme.  Qu'en est-il au Québec et ailleurs ?

 

 Au Québec

 

Au Québec, le législateur a prévu cette éventualité et a protégé le droit à l'avortement aux mères porteuses québécoises par l'article 541.8 du Code civile québécois (CCQ) :

 

Seule la femme ou la personne qui a accepté de donner naissance à un enfant dans le cadre d’un projet parental impliquant une grossesse pour autrui peut, en tout temps avant la naissance de l’enfant, mettre fin unilatéralement à la convention de grossesse pour autrui; elle doit alors le faire par écrit et en notifier copie à la personne seule ou aux conjoints ayant formé le projet parental. Dans ce dernier cas, la notification à l’un des conjoints est réputée faite à l’égard de l’autre. En cas d’interruption de la grossesse, il est mis fin à la convention de grossesse pour autrui sans autre formalité ".

 

Pour éviter que des pressions monétaires ne s'exercent sur les mères porteuses, le législateur québécois a interdit,  à l'article 541.10 (CCQ), aux parents prospectifs ayant eu recours à une mère porteuse québécoise,  la possibilité d'exiger les remboursements des frais occasionnés et la compensation de salaire perçue pendant sa grossesse.

 

"Les montants versés en remboursement de certains frais et, le cas échéant, l’indemnité versée pour la perte de revenus de travail à la femme ou à la personne qui a accepté de donner naissance à l’enfant en raison de sa contribution à un projet parental impliquant une grossesse pour autrui sont insaisissables."

 

Par contre, le législateur québécois n'a pas jugé utile de préciser si une mère porteuse pouvait refuser un avortement ou une réduction embryonnaire.

 

Certains avocats spécialisés dans les contrats de grossesse pour autrui ont confié à la chercheuse Stefanie Carsley dans sa thèse de doctoratSurrogacy in Canada: Lawyers’ experiences, practices and perspectives " (2020), s'interroger à savoir si les contrats de GPA étaient "exécutoires" (p. 186).   Il est plus que probable que les tribunaux auront à trancher cette question:

 

Peut-on forcer une femme à donner naissance ?

Peut-on forcer une femme à adopter un régime alimentaire ?

Quels sont les recours si elle refuse ?

Peut-on forcer une femme à se soumettre à des procédures médicales invasives ?

Quels sont les recours si une femme refuse de soumettre à un Xième transfert d'embryons si elle a déjà fait une ou plusieurs fausses-couches?

 

 Ailleurs au Canada

 

Chacune des provinces canadiennes  a sa propre législation concernant les contrats de GPA.

L'agence ontarienne Canadian Fertillity Consulting (CFC) donne un exemple de ce que les contrats devraient encadrer sur son site internet et laisse entendre que les contrats sont exécutoires.  L'agence ne mentionne pas quels seraient les recours si une mère porteuse refuserait de mener sa grossesse à terme et semble suggérer qu'au Canada, des tiers peuvent forcer une femme à avoir un enfant.

 

DANS LA SECTION DROITS ET RESPONSABILITÉS, L'AGENCE CFC COMMENTE :

 

" L'accord définit les droits et les responsabilités de toutes les parties concernées. Cela comprend l'engagement de la mère porteuse à mener la grossesse à terme et la responsabilité des parents d'intention de répondre aux besoins médicaux et émotionnels de la mère porteuse."

(Notre traduction)

 

Les contrats de GPA sont-ils exécutoires au Canada ?

Le Québec, par le biais de son article 541, était-elle la seule province à proposer une interprétation juridique adéquate concernant la nullité absolue des contrats de gestation pour autrui ? Certains juristes pensent que oui.


1. Les travaux de Carsley

Stefanie CarsleyStefanie Carsley est professeure agrégée à la faculté de droit de l'université d'Ottawa où elle mène des recherches et enseigne dans les domaines du droit de la famille, du droit de la santé et du droit de la responsabilité civile.  Elle s'intéresse depuis plusieurs années à l'industrie de la fertilité, à la grossesse pour autrui (GPA) et aux techniques de reproduction assistée.   Sa thèse doctorale  (Université McGill - 2020) portait sur l'expérience d'avocats canadiens ayant rédigé des contrats dans le cadre de GPA.

Les témoignages des juristes ayant collaboré à sa thèse révèlent une divergence d'opinions sur la force  éxécutoire (ou non éxécutoire) des contrats de GPA.  

 

Contexte:

 

Les "contrats" de GPA (appelés "conventions notariées" au Québec) englobent un ensemble de clauses.  La "clause" principale étant le renoncement du droit de filiation de la mère au bénéfice de l'autre partie contractuelle. Cette disposition est régulée par le droit de la famille (code civil au Québec et le Common Law dans les autres provinces).  Les parties prenantes du contrat sont, d'une part,  la mère porteuse et d'autre part, le ou les parents d'intention. 

 

Le ou les "parents d'intention" peuvent être composés d'un nombre variable d'individus, en fonction des provinces.  Il peut s'agir d'un homme seul, d'une femme seule, d'un couple d'hommes, d'un couple de femmes ou d'un couple hétérosexuel.  Dans certaines juridictions provinciales, les "parents d'intention"  peuvent être composés d'un groupe de trois ou quatre individus (quatre pour l'Ontario et jusqu'à trois pour Terre-Neuve-et-Labrador, Colombie-Britannique, Saskatchewan).  

 

Les clauses des contrats se répartissent selon plusieurs catégories.  Parmi ces clauses, on y trouve;

 

  • le renoncement de la filiation maternelle au bénéfice des parties prenantes,

  • des clauses "comportementales", 

  • des clauses de renoncement de la mère porteuse à certains de ses droits fondamentaux,

  • des clauses d"exigences"  d'interventions médicales spécifiques de la part des clients, 

  • des clauses concernant les modalités de "remboursement" des dépenses admissibles.
 

Mises à part les clauses concernant le renoncement à sa filiation et celle concernant les modalités de remboursement, les juristes canadiens ne s'entendent pas sur la force exécutoire des exigences qui entourent ce que le code civil français appelle "l'indisponibilité du corps" (à ce propos, voir les litiges des contrats canadiens sur notre site).  [1]

 

Ces principes humanistes ne sont pas partagés par toutes les femmes.  Ainsi une mère porteuse dont le témoignage est rapporté dans la thèse de Carsley, estime qu'il est  acceptable pour une femme de pouvoir "vendre des morceaux de son corps". Elle perçoit cette éventualité comme une façon d'affirmer sa liberté :

 

“Women and men should be able to regulate their own bodies and if they want to sell their parts of their bodies, what’s wrong with that? I think a lot of Canadians wouldn’t have a problem with that at all.”/ Les femmes et les hommes devraient être en mesure de réguler leur propre corps et s'ils veulent vendre des parties de leur corps, qu'y a-t-il de mal à cela ? Je pense que beaucoup de Canadiens n'y verraient aucun inconvénient. [2]

 

Voici quelques exemples qui illustrent les difficultés juridiques faisant obstacle à la nautre exécutoire d'un contrat de GPA :

 

  • Quels leviers juridiques peuvent être invoqués pour obliger une citoyenne (fût-elle "mère porteuse")  à se conformer à un régime alimentaire contre son gré ?

 

 

  • Quels seraient les recours légaux de parents-clients qui permettraient d'obliger une mère porteuse à s'abstenir de fumer ou de boire de l'alcool ?  Concrètement : comment peuvent-ils contraindre une mère porteuse à se conformer à une clause contractuelle d'abstinence ?  Si des parents-clients peuvent contraindre une femme porteuse dans le cadre d'une convention altruiste au Canada, quel mécanisme pourrait empêcher le compagnon ou le mari d'une femme d'exiger  une contrainte semblable à la mère de son enfant ?  Après tout, si des étrangers peuvent l'exiger sur la mère, pourquoi pas le père de l'enfant ?

  • Comment un parent-client peut-il obliger une mère porteuse à prendre (ou ne pas prendre) un médicament spécifique, même si une clause d'un contrat l'y oblige ?

  • Quels recours aura-il si la mère porteuse s'oppose à une réduction embryonnaire ou refuse d'accoucher par césarienne ?

  • Un tribunal canadien peut-il obliger une femme à de se soumettre à un Xème transfert d'embryons si cette exigence est prévue dans une clause du contrat ?

 

Il est raisonnable de croire que seule une pression monétaire peut exercer un tel pouvoir de contrainte.  Or il appert que les femmes canadiennes font des GPA sur une base altruiste. Dans ce cas, comment des "parents d'intention" peuvent-ils faire respecter les clauses d'un contrat ? Et s'ils ne le peuvent pas, pourquoi les rédiger ?

 

Clauses punitives et bris de contrats

 

Comment un tribunal peut-il imposer des sanctions  à une femme altruiste (c'est-à-dire sans bénéfice pour elle-même) si cette dernière refuse de subir une réduction embryonnaire prévue dans le contrat de GPA ? On conçoit mal un juge ordonner à une mère porteuse de rembourser ses notes de frais, sachant que les dépenses éligibles sont encadrées par un règlement, et que ces frais ont été engagés non pour elle-même, mais pour autrui, et qu'aucune grossesse ne garantit une naissance.  

 

Selon certains juristes, les "bris de contrats" ne peuvent être reconnus que si le comportement d'une femme a des répercussions sur la santé de l'enfant à naître. Cette position semble contredite par le jugement de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, une décision qui a fait jurisprudence sur la question de l'avortement au Canada.  L'opinion juridique n'est pas soutenue par la jurisprudence.  En effet, dans l'affaire Winnipeg Child and Family Services (1997 - Northwest Area) v. G (D.F.) par. 46,  la Cour suprême du Canada a refusé d'accorder une injonction exigeant d'une femme enceinte qu'elle mette fin à sa toxicomanie, qui risquait de nuire à son enfant à naître (la femme autochtone respirait de la colle). La Cour a estimé que la soumettre à une détention et à un traitement involontaire constituerait une violation de ses libertés fondamentales, qui incluent sa capacité à faire des choix de vie. 

 

Il appert de plus en plus clairement que le "respect" des contrats de GPA dans les États droits s'explique par la convergence des intérêts des deux parties prenantes au moment de la signature du contrat.  En effet, on peut raisonnablement  penser qu'à partir  du moment où les parties tirent chacune des bénéfices à contourner l'article 6 (1) [3] de la loi canadienne sur la procréation assistée, elles ont aussi intérêt à s'abstenir de l'arbitrage des tribunaux.  Comme le chantait l'auteur-compositeur Dylan : "But to live outside the law, you must be honest".[4] 

 

Ainsi, il est logique de penser que chacune des parties tentera de s'accomoder de l'arrangement initial pour éviter des poursuites pénales susceptibles de révéler  des rémunérations interdites puisqu'il est peu probable qu''un levier jurdique forcerait le respect des clauses des contrats (mis à part les clauses concernant le remboursement des dépenses et l'abandon de la filiation maternelle au profit des clients). Seule une convergence d'intérêts peut contraindre les parties prenantes. 

Dans ce contexte, des pressions monétaires et des menaces d'avoir à les rembourser apparaissent comme les seuls leviers efficaces pour contraindre une mère porteuse à respecter les clauses d'un contrat. 

 

Il est ainsi vraisemblable de conclure que les pressions monétaires constituent la motivation principale des mères porteuses à accepter l'aliénation de leur liberté

 

Le fait que les paliers de gouvernements n'ont pas prévu de mécanismes de vérification du respect des articles interdisant la rémunération contribue  aussi à la viabillité de ce système en marge du droit canadien. 

 

À ce jour, une seule poursuite judiciaire a été  intentée depuis la mise en oeuvre de la loi en 2004,  ce qui, d'un point de vue statisque, apparaît  comme une anomalie. [5]


[1] Carsley note (à propos des législateurs des différentes provinces canadiennes) : " They might not have contemplated that these contracts contain a wide variety of clauses that go beyond simply setting out the child’s parentage " CARSLEY « Surrogacy in Canada: Lawyers’ Experiences and Practices», (2022) 34:1 Canadian Journal of Women and the Law 41. p. 223
[2] Ibid p. 234
[3] Rétribution de la mère porteuse
6 (1) Il est interdit de rétribuer une personne de sexe féminin pour qu’elle agisse à titre de mère porteuse, d’offrir de verser la rétribution ou de faire de la publicité pour le versement d’une telle rétribution.
[4]   DYLAN, Bob, "Absolutely Sweet Marie" - 1966
[5] Leia Picard, la seule dirigeante de Canadian Fertility Consulting Ltd., a admis avoir violé les articles 6 et 7 de la Loi sur la procréation assistée et a été condamnée à une amende de 60 000 $. Voir : R. c. Picard and Canadian Fertility Consulting Ltd.
 
Commentaires (traduits) des avocats consultés par Mme Carsley dans sa thèse doctorale :
"...certains juristes pensaient que ces contrats - ou du moins certaines parties de ces accords - seraient judiciairement exécutoires dans le cas où l'une des parties violerait les termes de ces contrats. La plupart des juristes ont toutefois souligné que l'objectif principal de ces accords n'est pas de résoudre les litiges, mais plutôt de les prévenir." p. 169
"Cependant, les récits des avocats indiquent qu'il pourrait être souhaitable de réglementer davantage le contenu des contrats de maternité de substitution afin de s'assurer que ces contrats n'induisent pas en erreur les mères porteuses et les parents d'intention. Une solution pourrait consister à créer un contrat type dans chaque province . Ces formulaires pourraient être conçus de manière à ne contenir que des dispositions susceptibles d'avoir une valeur juridique en cas de litige entre une mère porteuse et les parents d'intention. En d'autres termes, ces accords pourraient être limités aux termes relatifs à la filiation et aux dépenses remboursables." p. 178
Victoria (nom fictif d'une avocate consultée) a également noté que le fait de déclarer que les contrats sont explicitement non-exécutoires est « problématique » et « met les parents d'intention dans une position très incertaine » parce que la mère porteuse « sait dès le départ que le contrat de maternité de substitution est non-éxécutoire ». p. 301

 

 

Voici quelques témoignages (traduits) d'avocats extraits de la thèse doctorale de Mme Carsley

 

"Cependant, les récits des avocats indiquent qu'il pourrait être souhaitable de réglementer davantage le contenu des contrats de maternité de substitution afin de s'assurer que ces contrats n'induisent pas en erreur les mères porteuses et les parents d'intention. Une solution pourrait consister à créer un contrat type dans chaque province . Ces formulaires pourraient être conçus de manière à ne contenir que des dispositions susceptibles d'avoir une valeur juridique en cas de litige entre une mère porteuse et les parents d'intention. En d'autres termes, ces accords pourraient être limités aux termes relatifs à la filiation et aux dépenses remboursables."

- p. 178

 

 ""...certains juristes pensaient que ces contrats - ou du moins certaines parties de ces accords - seraient judiciairement exécutoires dans le cas où l'une des parties violerait les termes de ces contrats. La plupart des juristes ont toutefois souligné que l'objectif principal de ces accords n'est pas de résoudre les litiges, mais plutôt de les prévenir." 

-p. 169

 

"Victoria a également noté que le fait de déclarer que les contrats sont explicitement non-exécutoires est « problématique » et « met les parents d'intention dans une position très incertaine » parce que la mère porteuse « sait dès le départ que le contrat de maternité de substitution est non-éxécutoire ».

- Victoria (nom fictif d'une avocate consultée) p. 301

Ubaka Ogbogu2. L'avis du professeur de droit Ubaka Ogbogu

Le professeur en droit de l'université de l'Alberta, Ubaka Ogbogu, est catégorique sur la nature non-exécutoire des contrats de GPA.  Dans un article où il est cité par la journaliste-pigiste Alison Motluk [1], il affirme que : 

 

"Anyone who knows the basics of contract law, says Ubaka Ogbogu, a health law professor at the University of Alberta in Edmonton, knows that in order for a contract to be binding, something called “consideration” must change hands. Typically, that is money." / "Selon Ubaka Ogbogu, professeur de droit de la santé à l'université de l'Alberta à Edmonton, quiconque connaît les bases du droit des contrats sait que pour qu'un contrat soit contraignant, il faut qu'un élément appelé « contrepartie » change de mains. En général, il s'agit d'argent."

 

Il est possible que l'argument du professeur Ogbogu, fondé sur la définition des contrats canadiens, soit valide juridiquement, mais il faut tout de même garder à l'esprit que le professeur Ogbogu a émis subséquemment à cet article, sa position en faveur de la commercialisation de la GPA dans le "Health Law of Canada Journal" en 2019 [2].  Or, dans cette publication, il s'avance à définir la GPA comme un "travail" qu'il compare à la prostitution ("travail du sexe").  Ce raisonnement montre à quel point l'expression "travail du sexe" est un euphémisme éthiquement dangereux et qu'il peut être utilisé par des juristes pour justifier  la "disponibilité du corps" et l'exploitation des fonctions reproductives et sexuelles des femmes.

3. Royaume-Uni 

 

Au Royaume-Uni, comme au Canada, les arrangements de maternité de substitution sont autorisés sous certaines conditions.  L'une d'entre elles est l'interdiction de toute rémunération à la femme qui s'engage à faire une grossesse pour autrui.  C'est la "Surrogacy Arrangements Act 1985" qui encadre cette pratique. 

 

En 1990 cette loi a été amendée par la " Human Fertilisation and Embryology Act 1990 (c. 37, SIF 83:1)s. 36(1)" qui détermine que les contrats de maternité de substition ne sont pas contraignants (ou exécutoires).

 

Surrogacy arrangements unenforceable.

No surrogacy arrangement is enforceable by or against any of the persons making it.

 

Ainsi, le législateur québécois a introduit l'article 541 (frappant de nullité absolue les contrats de GPA) dans son code civil  la même année que l'amendement de la loi britannique - soit en 1990.  Il est raisonnable de penser que les législateurs québécois de l'époque se sont inspirés de la loi britannique et ont réalisé bien avant les autres provinces canadiennes et le gouvernement fédéral, qu'on ne pouvait contraindre des êtres humains à des interventions médicales, des régimes alimentaires ou des comportements, contre leur gré.  

 

Ces contrats ne peuvent être à la fois contraignants et respecter les droits humains inhérents aux États de droits.  En attendant que des litiges soient soumis au jugement de la cour Suprême du Canada, il y a fort à parier que l'industrie va continuer à demeurer silencieuse sur ce sujet tout en laissant croire aux clients-parents et aux mères porteuses qu'ils sont liés par l'ensenble des clauses des contrats.


[1] MOTLUK, A. , "Anatomy of a Surrogacy" ,Hazlitt , (November 6, 2017)
[2] OGBOGU, Ubaka, Missing Concerns and Considerations in the Law and Policy Discourse on Paid Surrogacy and Oocyte Donation (May 14, 2019). Health Law in Canada Journal (HLCJ), 2019