GPA : Réparer les pots cassés

 

 

 

 

 

Le jugement de cette cause (Re P (Surrogacy: Residence) [2008] 1FLR 177) a été rendu en Grande-Bretagne en 2008 et les évènements relatés sur cette page sont extraits du Denning Law Journal 2010 Vol 22 pp 209-220 - Mary Welstead. 

Pour mieux comprendre les enjeux et les liens unissant les mises en cause et les plaignants utilisez le bouton bleu "Les protagonistes" au haut de l'écran .

 

 

L'historique

Une famille "incomplète"

 

"Madame P." avait 2 enfants de pères inconnus quand elle s'est mise en couple avec "Monsieur P." De son côté, M. P. comptait 4 enfants, (devenus adultes), tous issus d'une relation antérieure.  M. P. a 14 ans de plus que Mme P.

 

Lorsque M. P. a débuté sa relation amoureuse avec Mme P., il avait déjà subi une vasectomie, ce qui empêchait l'élargisssement de cette famille reconstituée.  Mais Madame P.  contemplait l'avenir de cette famille avec davantage d'enfants.

 

Aprs avoir lu dans le journal local qu'un nouveau-né avait été abandonné à Weston-super-Mare, elle a prétendu que le bébé était le sien.  Une enquête policière et un examen médical ont révélé que Mme P ne pouvait pas être la mère du bébé abandonné. Suite à cet évènement elle a demandé à M. P. de recourir à une opération de renversement de sa vasectomie. Malheureusement, l'opération n'a pas restitué sa fertilité à M. P.

 

 

Les tentatives en vue d'obtenir un autre enfant se sont poursuivies.  Mme P. a contacté une clinique de fertilité afin de recevoir un don de sperme.  Sa demande a été  rejetée parce qu'elle n'était pas qualifiée pour un traitement contre la stérilité, pour des raisons sociales et médicales. Il est important de noter que cette démarche a eu lieu au début des années 2000 et que les cliniques de fertilité avaient des critères définissant la fertilité fondés sur des conditions médicales et non sur un statut social.  Il ne fait aucun doute que la demande de Mme P. serait acceptée aujourd'hui.

 

Afin d'être éligibles pour une éventuelle adoption, M P. et Mme P. se sont mariés.  Le couple a exprimé sa préférence aux services sociaux pour adopter un enfant atteint du syndrome de Down, mais les services sociaux ont considéré que le couple était déjà suffisamment débordé avec  les besoins de la fillette "S", atteinte de la maladie de Crohn, d'une thrombose veineuse cérébrale et d'épisodes psychotiques. L'ainé, "P" avait des troubles de comportements et on suspectait une forme d'autisme.  Les projets d'adoption ont dû être abandonnés.

Le troisième enfant

 

Mme P. est  parvenue à devenir enceinte d'un troisième enfant - une petite fille référée par la lettre "T" dans la documentation judiciaire. L'identité paternelle demeure nébuleuse.

 

T a fait l'objet d'un examen pour une forme légère d'infirmité motrice cérébrale, mais il s'est avéré qu'elle était en bonne santé. Mme P a refusé d'accepter le diagnostic et a perçu une allocation d'invalidité au nom de T. Elle s'est convaincue elle-même et a inculqué au reste de la famille la conviction que l'enfant était bel et bien atteint de cette maladie. On ne peut s'empêcher de détecter dans ce comportement obsessif la présence éventuelle d'un syndrome de Münchhausen par procuration associé à un moyen  d'obtenir une augmentation des prestations de l'État.

 

Les GPA

 

 

 

 

 

La "fausse-couche"

 

Environ 3 ans après la naissance de "T", Mme P. a contacté une agence intermédiaire de GPA, "Childlessness Overcome Through Surrogacy" (COTS) et s'est  portée volontaire pour devenir mère porteuse.  Notons au passage que cette agence, fondée en 1988, a annoncé sa fermeture officielle pour septembre 2025, l'organisme s'estimant incapable de rencontrer les exigences des nouveaux règlements adoptés par le "Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA)" du Royaume-Uni.

 

Quoi qu'il en soit, Mme P. fût acceptée par l'agence, ce qui soulève des questions sur les critères d'éligibilité de l'organisation sachant que son profil psychologique avait été rejeté  pour devenir famille d'accueil (foster care) de même que pour devenir famille adoptive.

 

Elle a été mise en contact avec M et Mme R. qui "cherchaient désespérément avoir un bébé car leur fille unique avait atteint l'âge de 19 ans (sic)". À ce point le commentaire du Denning Law Journal n'est pas suffisamment détaillé concernant la méthode de conception de l'embryon.  L'article relate qu'une fécondation in vitro (FIV) a été utilisée, plutôt qu'une insémination.

 

 

 

Mme P. étant fertile, la méthode d'insémination aurait normalement cumulé moins de risques médicaux si ses ovocytes ont été utilisés pour la fécondation.  Mais certaines cliniques choisissent quand même de recourir à une FIV pour augmenter les chances de conception de l'embryon et en contrôler la "qualité", sans égard aux conséquences médicales possibles pour la mère porteuse.  Il semblerait que ce fût le cas ici.

 

Mrs P would be impregnated with Mr R’s sperm by means of IVF treatment in return for a fee of £850 to cover the pregnancy and birth expenses.

 

Nous en concluons que l'ovocyte de Mme P. a été utilisé ce qui fait d'elle la mère "biologique" (par la gestation) et la mère génétique (par la contribution du matériel génétique).

 

Mme P. est devenue rapidement enceinte, mais tôt dans la grossesse, M. R. a reçu un appel téléphonique de M P. lui annonçant que Mme P. avait fait une fausse-couche et qu'elle ne souhaitait pas refaire le processus ni avoir d'autres contacts avec M. R.

 

 

 

 

 

Considérant le profil psychologique et ses antécédents, personne ne s'étonnera d'apprendre que Mme P. n'avait pas fait de fausse-couches.  N'eût été une dénonciation relative à une GPA subséquente, personne n'aurait jamais démasqué le subterfuge concernant la naissance de "C".  M. R. n'a appris que quatre années plus tard que Mme P. avait donné naissance à une fille, dont il était le père.

 

La deuxième GPA

 

Nul ne s'étonnera que Mme P. ait vu dans la pratique de la GPA, une opportunité inespérée pour réaliser ses obsessions compulsives doublée d'une solution à sa précarité économique.

Quelques années plus tard, elle recontacta la même agence mais elle a dû expliquer l'existence de C.  Elle raconta qu'elle était redevenue enceinte immédiatement après la fausse-couche et l'agence accepta cette version en dépit du fait que son mari était infertile.  L'agence a mis en contact Mme P. et un de ses clients  - M. J. -  et une nouvelle grossesse suivit: celle de bébé "N".

 

Peu de temps après, M. J. reçu un téléphone l'informant que Mme P. avait malheureusement fait une fausse-couche et perdu l'enfant qu'elle portait pour lui.  Cette conversation mis fin à leur entente et l'agence n'intervint pas plus qu'elle ne l'avait fait la première fois.

 

Dénonciation

 

 

 

Rien ne va plus

 

Mme P. n'avait pas fait de fausse-couche et reconduisait la même fraude commise envers M. R. et l'enfant "C". 

 

Pendant que sa grossesse avançait, le climat familial se détériora au point où sa relation avec sa fille ainée "S" (19 ans) devint "explosive" selon les termes du Denning Law Journal

 

S. avait eu un parcours particulièrement difficile dans cette famille. Elle était dépressive et entretenait des idées suicidaires.  Elle s'auto-mutilait et les médicaments qu'elle prenait provoquait des épisodes psychotiques.  Sa mère l'informa qu'elle avait été "enregistrée comme aveugle" (auprès des services sociaux ?) et qu'elle "devait se déplacer en chaise roulante".

 

S. quitta la maison familiale pour se mettre en couple avec un homme rencontré sur internet. Elle devint rapidement enceinte et donna naissance à un garçon.

  

 

Pour se "venger" de la maltraitance subit de la part de sa mère, elle dénonça cette dernière à l'agence de GPA.  Elle les informa que Mme P. était toujours enceinte, qu'elle n'avait pas fait de fausse-couche, et que le même mensonge avait été utilisé pendant qu'elle était enceinte de l'enfant C.  La mère se vengea de sa fille en la dénonçant aux services sociaux, prétendant qu'elle était dangereuse pour le bébé et avança d'autres allégations qui n'ont pas été prouvées par la suite.

 

Le procès

 

La dénonciation de S a divulgué à M. J. que Mme P. n'avait pas fait de fausse-couche et qu'elle était toujours enceinte de "N".  Elle a aussi eu pour effet de révéler à  M. R.  l'existence de sa fille "C" maintenant âgée de 4 ans.  Les deux pères-clients ont réagi différemment à ces nouvelles.

 

M. R. a entamé des procédures et obtenu des droits de visites supervisés avec sa fille C.  La cour lui a accordé d'être impliqué dans les décisions importantes touchant sa fille.
 

 

M. J. et sa conjointe ont demandé la reconnaissance parentale et la garde exclusive de N.  Comme Mme P. prétendait qu'elle était enceinte de son mari, il a fallu attendre des résultats de tests d'ADN et le déroulement des procédures judiciaires et législatives.  Ces délais ont fait en sorte que la cause a été entendue alors que N avait déjà 18 mois.   

 

Compte tenu des allégations de Mme P. et P.  (que l'enfant avait été conçu par relation sexuelle), un jugement temporaire a été émis accordant la garde de N à Mme P.  Ce jugement autorisait une visite supervisée d'une heure du couple J à l'enfant N, aux trois semaines. Le juge s'est donc trouvé devant une situation où le principe d'attachement psychologique commandait l'intérêt supérieur de l'enfant et entrait en conflit avec les droits de paternité revendiqués par M. J.

 

Le jugement

 

 

 

Fraude, mensonge et ADN

Le Denning Journal of Law exprime ainsi une des  réflexions du juge ; (notre traduction)

"Le juge a d'abord reconnu qu'il était à la fois compréhensible et naturel qu'une mère porteuse change d'avis sur l'abandon de l'enfant qu'elle avait mis au monde et qui était resté dans son ventre pendant neuf mois." 

 

Toutefois le juge a indiqué que le comportement de Mme P ne correspondait pas à celui d'une mère qui change d'avis mais qu'elle avait délibérément et intentionnellement trompé M. R. et M. J. en les piégeant dans un "plan inhumain et cruel" en les amenant à prodiguer leur sperme sous de fausses intentions.  Mais pour le juge, ces mensonges et ces fraudes ne justifiaient pas de retirer l'enfant de sa mère et de la seule famille qu'il connaissait pour le remettre au couple J.

 

Nous avons déjà relevé un autre cas, au Canada cette fois, où le juge a accordé la filiation parentale au couple qui avait eu la possession constante d'état immédiatement après la naissance (dans cet exemple il s'agissait des clients bénéficiaires - voir "Chronique d'un désastre annoncé - Le placement crée l'attachement, l'attachement crée le placement). 

Dans ces deux cas, les juges justifient leur décision en invoquant l'attachement développé par le placement initial temporaire.  Or la lenteur des procédures judiciaires, au Canada comme ailleurs, fait en sorte que l'enfant s'attachera naturellement aux personnes qui auront obtenu la garde temporaire.  Comme le fait remarquer Mary Welstead dans le Denning Journal of Law:

 

 

"By the time any dispute comes to court, most children will have reached an age where bonding has taken place and few judges will view it as in a child’s best interest to destroy that bond."

 

Il est toutefois remarquable que ces décisons judiciaires ne tiennent pas compte de la façon dont ces personnes l'auront obtenu (par fraude ou mensonge, par abus de faiblesse de personne vulnérable - voir l'histoire de Julie -, ou en rémunérant illégalement une mère porteuse).  Il est tout aussi remarquable que le juges ne tiennent pas compte non plus des préjudices subis par un nouveau-né en le séparant d'avec sa mère dans l'évaluation de son intérêt supérieur.

 

Au moment d'entendre la cause, bébé "N" avait atteint l'âge de 18 mois Le juge a considéré que ses deux parents - Mme P. et M. J. - partaient d'un pied égal puisqu'ils avaient tous les deux un lien génétique ("de sang") avec l'enfant.

 

Il accorda toutefois la garde à M et Mme J. en motivant sa décision sur l'évaluation des compétences parentales des deux couples.  M. J. en était à son deuxième arrangement de GPA.  Il était le père d'un enfant de 2 ans issu de cette pratique et les capacités parentales du couple ont été évaluées favorablement.

 

 

Les mensonges de Mme P., incluant ceux transmis à ses propres enfants concernant leurs conditions médicales,  la difficulté du couple à distinguer la fiction des faits réels, les fraudes répétées, les mensonges concernant les compétences maternelles de sa fille, les mensonges sur l'identité des pères des enfants ont négativement influencé l'évaluation de ses habilités parentales.

 

Le couple J. a obtenu la garde légale de l'enfant "N" et le couple de Mme et M. P ont obtenu des droits de visite.  En ce qui concerne le bris d'attachement, voici ce qui a été rapporté par Mme Welstead des propos du juge:

 

"He suggested that although a move would cause N short-term distress, probably for a period of about two months (sic), he should be placed immediately with Mr and Mrs J on a long-term basis in order that his best interests be met in the future. N would be made a ward of court to allow his development to be monitored"

 

Nous ignorons cependant sur quoi le juge s'appuie pour estimer que la  détresse psychologique attribuable à la séparation de sa mère et de sa famille se résorbe à l'intérieur d'une période de deux mois.

 

  

Analyse du jugement

 

L'agence n'a pas été blâmée dans le jugement bien que des processus de saine gouvernance auraient pu facilement empêcher les deux tragédies. Par deux fois, c'est le mari de Mme P. qui informe les clients de la fausse-couche, sans qu'aucune vérification ne soit faite ou exigée par l'agence.  Elle a également failli dans l'évaluation psychologique de Mme P., un processus qui avait écarté sa candidature à devenir famille d'accueil et famille d'adoption.  

 

Ces processus insolites éclairent d'importantes lacunes concernant le rôle des agences qui mettent en lien les clients et les mères porteuses ainsi que les responsabilités des États de droit qui autorisent les contrats de GPA dits altruistes. 

 

Ces règlementations et ces lois se distinguent trop souvent par l'absence de mécanismes de contrôle, élargissant ainsi les opportunités de trafic d'enfants, de fraudes, d'exploitation et d'une diversité d'abus sans qu'aucune organisation n'en soit  imputable. 

 

Les États s'appuient (naïvement?) sur les agences et les cliniques pour faire respecter lois et règlements.  Nous ignorons jusqu'à quel point elles le font, mais d'un autre côté, pourquoi le feraient-elles ? Les arrangements de GPA de "personne-à-personne" sont permis et ne sont ni supervisés ni contrôlés après tout... Ce n'est que lorsque la catastrophe survient que des avocats sont sollicités et que les processus judiciaires interviennent.  Les faibles mécanismes de prévention mis en place en amont ne sont pas contrôlés. Pire encore, aucun intervenant n'est désigné pour défendre les intérêts des enfants à naître dans cette chaîne de "production" humaine.

 

La reconnaissance légale des contrats de GPA implique une chosification des enfants. Cette chosification induit les inextricables conflits de droit, y compris le droit à la dignité humaine.  Ainsi l'intérêt supérieur d'un enfant  issu de cette pratique est substitué à l'intérêt collectif des enfants à ne pas être "vendu, échangé ou donné".  C'est d'ailleurs un peu ce que cette phrase, exprimée par le juge chargé de trancher ce conflit, traduit:

 

“When all goes according to plan, they are a way of remedying the agony of childlessness. However, when the arrangements do not go according to plan the result, in human and legal terms is, putting it simply, a mess."

 

Tout ne va pas toujours comme prévu dans un contrat, encore moins quand il est question de procréation. Les dispositions des codes civils sont là pour encadrer ces conflits et les parties en cause peuvent recourir aux tribunaux pour arbitrer les différends.  Dans les contrats de GPA, les enfants issus de cette pratique en assument peut-être le coût humain le plus lourd.  Les juges ne peuvent que tenter de réduire les méfaits et les préjudices qui leur sont infligés. 

 

Mais quand des États légifèrent et permettent qu'un enfant puisse faire l'objet d'un contrat, ils participent aux "gâchis" ("mess") et en portent une lourde responsabilité.