MYTHE # 6
Au Canada et au Québec les clients de la GPA et les mères porteuses ont des revenus semblables.
Peu d’études mesurant les écarts économiques entre les parents d’intention et les mères porteuses sont disponibles au Canada ou au Québec. Pour le Québec, mentionnons celle de K. Lavoie portant sur un échantillon de 15 mères porteuses et de 13 mères d’intention [1]. La titulaire de la chaire de recherche sur la Procréation pour autrui et liens familiaux, Mme Isabel Côté, s’appuyant sur cette recherche, a affirmé au cours d’une entrevue publiée par Châtelaine en 2021:
« On voit tout de même encore des écarts de revenu importants entre les femmes porteuses et les mères d’intention en Ukraine et aux États-Unis. Dans notre échantillon québécois, ce revenu est assez semblable. »
Cette déclaration de Mme Côté, qui était la directrice de recherche de M. Lavoie, soulève des préoccupations importantes.
Plusieurs problèmes avec l'échantillonnage font en sorte qu'il est impossible de souscrire aux conclusions émises par Mme Côté. Pour mieux les saisir nous reproduisons le tableau de données sur lequel elle s'appuie.
Inconsistance de la variable "mères d'intention"
En examinant le tableau ci-contre nous serions tentés de croire que la colonne "mère d'intention" est un échantillonnage composé de 13 femmes ayant formé un projet parental avec un recours à une "femme porteuse".
Mais l'auteur de la recherche explique aux pages suivant le tableau III que seulement 7 femmes de l'échantillonnage de ces 13 "mères d'intention" ont eu recours à une femme porteuse. Les 6 autres "mères d'intention" ont simplement eu recours à une don d'ovule et une fécondation in vitro. Autrement dit, elles ont porté leur enfant elles-mêmes.
Ceci n'a pas empêché l'auteur de la recherche de comparer le revenu des "mères d'intention" à celui des mères porteuses, amalgant en un seul groupe appelé "mères d'intention" les clientes de GPA et les femmes ayant recours à une fécondation in vitro pour elles-mêmes.
Ainsi, la directrice de recherche brouille le message sur les différences de profil socio-économique entre les clientes de GPA et les mères porteuses par une manipulation du langage : "Dans notre échantillon québécois les revenus sont assez semblables". Les propos publiés dans la revue Châtelaine ont été repris maintes fois dans différentes interventions médiatiques. Ainsi, l'animateur de Radio-Canada Gérald Fillion déclarait à l'émission "Pénélope" (Radio-Canada) :
« Moi, ce qu'on me dit c'est que, le profil socio-économique entre les femmes porteuses et les parents d'intention...y a pas un grand écart économique entre les deux. »
- "Gérald Fillion raconte comment il est devenu papa grâce à la GPA"
Radio-Canada Ohdio, 1er février 2023, Émission "Pénélope", minute 15:50
Ainsi, M. Fillion, reprend le message de Mme Côté et désinforme, à son insu, les auditeurs de Radio-Canada. En substituant l'expression "parent d'intention" à "mère d'intention", M. Fillion dénature (probablement candidement) ce que la recherche avait démontré. En effet, la recherche comparaît le revenu de femmes ayant recours à une fécondation in vitro pour elles-mêmes OU à une GPA avec le revenu de mères porteuses...pas la même chose. M. Fillion, journaliste chevronné en finance et en économie, aurait sans aucun doute capté l'importance de cette manipulation linguistique.
À partir des informations complémentaires détaillées dans la recherche de M. Lavoie, nous avons pu reconstituer un portrait plus " clair " de la situation des "mères d'intention" que nous nommerons plutôt "Futures mères" pour ne pas confondre avec une mère commanditaire (une cliente de GPA).
Profil des futures mères (Lavoie 2019)
Futures mères (n = 13) |
Recours à une GPA |
Fécondation in vitro pour soi-même (avec don d'ovocytes) |
Lien avec la "Femme porteuse" |
---|---|---|---|
Sylvie | NON | Don d'une amie | |
Louise | NON | Réseaux sociaux | |
Marie-France | NON | Réseaux sociaux | |
Estelle | NON | Banque de gamètes anonyme | |
Suzie | NON | Banque de gamètes anonyme | |
Nadia | NON | Réseaux sociaux | |
Sofia | Embryon conçu avec ovule de Sofia | Amie | |
Judith | Embryon conçu avec ovule de Judith | Amie | |
Rachel | Embryon conçu avec ovule de Rachel |
Agence intermédiaire ontarienne |
|
Jennifer | Embryon conçu avec don d'ovule |
Agence intermédiaire ontarienne |
|
Sabrina | Embryon conçu avec don d'ovule |
Contact par Facebook |
|
Elizabeth | Embryon conçu avec don d'ovule |
Contact par Facebook |
|
Josée | Embryon conçu avec l'ovule de la mère porteuse |
Contact par Facebook |
M. Lavoie présente le deuxième groupe (femmes porteuses) ainsi:
L'évaluation des profils socio-économiques
Les travaux de M. Lavoie, chercheur associé à la chaire de recherche sur la Procréation pour autrui et liens familiaux auraient bénéficié d'une expertise sur la façon d'évaluer des revenus afin de pouvoir comparer adéquatement des profils socioéconomiques. Il paraît étonnant que sa directrice de recherche n'ait pas su mieux l'orienter.
Il est essentiel de comparer des revenus familiaux pour tirer des conclusions valables sur le pouvoir d'achat et le profil socio-économique de contribuables ou de citoyens. Un revenu individuel de $80 000 peut sembler confortable pour un célibataire sans personne à charge. Mais si cette personne est pourvoyeur unique d'une famille de 3 ou 4 enfants, son profil socio-économique et son pouvoir d'achat est bien entendu sensiblement affecté.
Étonnamment, M. Lavoie a comparé des revenus sans tenir compte des situations familiales.
En ne tenant compte que des revenus des mères porteuses, on note que ces dernières ont 2.5 fois plus d’enfants que les « mères d’intention ». Les enfants à charge représentent un poids économique supplémentaire et un facteur « d’appauvrissement » particulièrement dans les situations de mono-parentalité (33% des mères porteuses contre 7% des "mères d'intention").
Cette situation reflète un déséquilibre dans l’analyse et la conclusion sur les écarts économiques car le revenu familial total aurait dû être considéré pour refléter adéquatement la situation. Nous trouvons pour le moins questionnable l’exclusion de ces données importantes pour mesurer l’écart socio-économique des parents d’intention et des mères porteuses. De plus les revenus des couples d’intention d’hommes homosexuels n’apparaissent pas dans l’échantillon en dépit du fait que selon un échantillon ontarien ces couples composent 40% de la clientèle ayant recours à cette pratique [2] .
Il est déconcertant que des comparaisons de revenus se fassent aussi simplement et que des conclusions soient tirées à partir d'une analyse de données aussi fragmentaire.
En examinant de plus près les situations familiales des mères porteuses voici ce que nous trouvons:
14 sur 15 ont des enfants.
5 sont chefs de famille monoparentale.
Sachant que plus de 40% des clients de GPA sont des couples homosexuels le chercheur n'aurait-il pas dû comparer leurs revenus?
Égalité des profils socio-économiques : des conclusions invalidées par d'autres recherches canadiennes
L'étude canadienne de Marina Ivanova
Le 8 juillet 2024 une nouvelle étude canadienne intitulée"Severe Maternal and Neonatal Morbidity Among Gestational Carriers: a Population-Based Cohort Study"a été présentée à la 40ème rencontre annuelle de l'European Society of Human Reproduction (ESHR) à Amsterdam.
L'étude, couvrant les années 2012 à 2021 en Ontario, compare les grossesses spontanées, les grossesses impliquant une Féconcation in vitro pour soi-même et les grossesses pour autrui avec Fécondation in vitro. Elle a tenu compte des profils socio-économiques des mères porteuses qu'elle a commenté ainsi (notre traduction):
L'enquête canadienne Yee, Hemalal et Librach
Dans l’enquête de Yee, Hemalal et Librach [2] réalisée auprès de 184 mères porteuses dans l’ensemble du Canada, 37% ont un revenu familial de moins de $50 000 et 47% ont un revenu familial se situant entre $50 000 et $110 000. Parmi les 180 mères porteuses ayant répondu à la question relative à leur budget familial au moment de l’enquête, 42% ont déclaré avoir un budget «serré» ou «très serré» et 29% ont indiqué avoir un budget «modeste».
Note [1] LAVOIE, K. (2019), « Médiation procréative et maternités assistées Vers une approche relationnelle et pragmatique de la gestation pour autrui et du don d’ovules au Canada »,Université de Montréal, p. 125
Note [2] YEE S, GOODMAN CV, LIBRACH CL., (2019) Determinants of gestational surrogates' satisfaction in relation to the characteristics of surrogacy cases. Reprod Biomed Online. P.249-261. doi: 10.1016/j.rbmo.2019.04.001.